Très nombreux, chacun seul
Le débat sur cette pièce va s’engager immédiatement après les nombreux applaudissements de la salle de la Maison des Étudiants, à Poitiers.
Le Président du Festival Jean Paul Géhin : « Comme on le fait très souvent à « Filmer le travail », on va engager un débat en attendant que Jean Pierre se remette un peu de sa performance et vienne nous rejoindre. C’est la deuxième fois que je vois le spectacle et je suis de plus en plus sûr qu’il fallait vraiment le passer à « Filmer le travail », c’est vraiment un projet qui est très très proche du nôtre. Il y a dans cette pièce et filmer le travail au moins trois points communs, d’abord une analyse précise et pertinente du travail, son évolution. En deuxième point la présence forte des sciences sociales et humaines, on en discutera… et puis un vrai travail d’enquête derrière qui m’a beaucoup impressionné, et enfin cette mobilisation créative et artistique permet d’aller au-delà des mots… Peut-être, pourrions-nous commencer, je vais demander à Alexandrine Brisson, réalisatrice, comment est née cette histoire, comment ça c’est passé, pourquoi ce projet ? »
Alexandrine Brisson : « En fait on avait tous les deux envie de parler du monde ouvrier, chacun dans notre domaine, moi à travers les images et l’écriture. J’avais depuis très longtemps envie de faire un film sur la main de l’homme, les gestes du travail, et Jean Pierre avait en fait envie de parler du monde ouvrier qu’il avait toujours au moins côtoyer à Chauvigny, où il a vécu longtemps, où le coeur de la ville est habité par une usine. Quand il sera là il vous en parlera mieux que moi. A un moment donné, on sait dit qu’on allait rassembler nos trois arts ensemble et faire appel aux arts de la musique et de la danse. Thibault Walter est compositeur de musique contemporaine, il nous a accompagné par son univers sonore. Une chorégraphe Cécile Bon, ici présente dans la salle, a aidé Jean Pierre pour exprimer des choses au fur et à mesure, avec son corps qui n’est pas un corps de danseur.
Au départ, comme à chaque fois que Jean-Pierre écrit un spectacle, il retourne aux sources, c’est-à-dire à Chauvigny, et va questionner les gens, et surtout pour ce spectacle qui allait parler du monde du travail, c’était évident d’aller à Chauvigny, puisque la fameuse usine est au coeur de la ville. En interrogeant les gens, en parlant avec eux, en allant chercher des histoires, des anecdotes, il est devenu clair, tout le monde évoquant à un moment donné, le suicide de Philippe Widdershoven, il était évident qu’on allait en parler, alors que c’était pas le but du départ de ce spectacle, et plus particulièrement quand on est allé voir Dominique Multeau, qui nous a un peu plus parlé des choses, il est vraiment le proche ami, et engagé au syndicat de Philippe, je dis Philippe comme si je l’avais connu, c’est incroyable , je ne l’ai pas connu, j’en parle comme d’un ami, il nous habite complètement depuis des années et là c’est devenu impossible de faire autrement. On est tombé sur un article de Libération de Sonya Faure , un article de Libération, (du 15 avril 2009) * qui devait être avec nous d’ailleurs ce soir, comme on sait ce qui se passe à Libération en ce moment,on peut comprendre que ce soit difficile en ce moment pour les salariés. On a lu cet article et on s’est dit qu’il était magnifiquement rédigé, et que ça pouvait devenir un objet de théâtre, même si ça n’est pas un texte de théâtre, c’était formidable parce que ça expliquait tout, à distance, ça donnait la parole finalement à chacun,et donc à partir de là on s’est dit, on va rassembler différents textes, différentes origines de textes, donc il y a cet article de Libération, il y a des textes de Simone Weil, que vous avez dû reconnaître, pour ceux qui aiment autant que nous cette femme. Il y a des textes soit de collectage comme Jean Pierre en a toujours l’habitude dans tous ces spectacles , donc des collectages qu’on a fait tous les deux. Il y a aussi ceux écrits comme pure invention de son côté et de la mienne, en espérant que tout ce brassage ferait un spectacle. On a beaucoup puisé, on s’est documenté, parce que je suis une fidèle de filmer le travail , depuis la première édition. C’est vrai que la richesse de ce que ce festival apporte d’ouverture au monde, au monde travail, et dans le monde, ça été très utile pour nous aussi. »
Jean Paul Géhin : « C’est vrai qu’il y a une espèce de proximité de projets tout à fait étonnante avec la projection de vos images. Je me disais que sur la scène finale, cette liste des métiers qui reprend quasiment tous des métiers ouvriers, rentre en résonance avec ce que c’est qu’un ouvrier aujourd’hui ? Un autre thème, sur les ouvriers d’hier et d’aujourd’hui, ses nouvelles appellations, sur lesquelles nous allons réfléchir, mercredi prochain, autour aussi de la soi-disant disparition de la classe ouvrière, qui me paraît très discutable. »
Dr Jean Jacques Chavagnat : psychiatre, il collabore depuis longtemps à la consultation souffrance au travail, dirigée par le Dr Eric D. ?, ici présent ainsi que d’autres médecins du travail.
« Mon intérêt est multiple puisque je suis venu à m’occuper de ces personnes en souffrance, pour plusieurs raisons :
– la première, parce que je me déplace lorsqu’il y a malheureusement un drame. Je dirigeais l’équipe chez Deshoulières, l’usine de porcelaine où a eu lieu le suicide. J’ai vu les personnes en difficulté qui ont bien voulu venir nous rencontrer, assez peu de monde d’ailleurs que nous avons vu de manière individuelle, ce qui est en général pas le cas, car habituellement on les voit en groupe, mais là, il y avait de telles tensions et pour certains une telle détresse, qu’on a préféré dans un premier temps les voir individuellement.
– l’autre point, c’est parce que depuis une trentaine d’années, je m’occupe de la prévention du suicide à la fois sur le plan régional et aussi national, je suis responsable d’une fédération importante qui regroupe à la fois le traumatisme, la prévention des suicides, la psychiatrie de liaison et les urgences psychiatriques. L’idée de s’intéresser justement à cette activité qui est le travail, m’a parue d’une telle évidence, dans la mesure ou je m’inscris dans la lignée de Christophe Dejours, qui n’a pas encore été cité. C’ est un collègue psychiatre, tout à fait éminent chercheur depuis une trentaine d’années sur ces problèmes de travail, avec d’autres bien sûr. Il n’est pas le seul, mais c’est certainement un de ceux qui est le plus en avant et qui a le plus écrit avec peut-être Yves Clot aussi, qui est lui psychologue.
Je vais maintenant vous parler d’emblée, d’une question importante que l’on appelle la centralité du travail , qu’est-ce-que c’est ? Il est très difficile pour une personne de ne pas pouvoir travailler, car travailler, c’est à la fois occuper son temps, son activité, sa tête mais aussi son corps. Bien évidemment comme ça va nous remplir ce travail , c’est quelque chose de très compliqué, qui va nous faire penser, nous ramener ce travail à la maison, mais aussi va nous accompagner la nuit, nous faire faire des rêves professionnels par exemple. Tout ce qui va se passer, pendant ses vingt quatre heures, le travail va être plus ou moins présent, même si à certains moments on à l’impression qu’il est mis à distance. Alors il va se mettre en place des moyens de défense qui sont en général inconscients, pour qu’on arrive à supporter un certain nombre de choses, des moyens passifs pour nous permettre de mieux vivre. Parfois ces éléments de défense peuvent être salutaires, parfois pathologiques.
Le comédien va venir dans quelques minutes, vous pourrez l’interroger bien sûr, ainsi que la réalisatrice et moi-même. »
De la salle, Mme : » Est-il possible aujourd’hui de ne pas travailler ? »
Dr J.J.Chavanat : « La question est très intéressante, et la réponse peut-être très courte ou très longue. Très courte : est-ce-qu’on peut ne pas travailler? je pense que c’est impossible. Ne pas avoir une activité que l’on appelle travail ou pas travail, on peut l’appeler autrement, mais tel que l’homme est fait, il ne peut pas rester à ne rien faire. Ne rien faire c’est quelque chose d’impossible, d’où la problématique bien sûr, lorsque l’on ne peut plus travailler, qu’est-ce-qui va se passer, à la fois dans sa tête et dans son corps ? En général un bouleversement. Le bouleversement il est « normal » quand on est en retraite, et vous savez que ce n’est pas toujours simple pourtant ! Même si c’ est préparé, on fait maintenant des préparations à la retraite, parfois ça se passe bien, parfois plus ou moins bien. Alors on imagine facilement lorsque l’on va quitter prématurément son travail, parce qu’on est licencié par exemple, les conditions de licenciement sont importantes à prendre en compte, ceci peut entraîner un bouleversement très important qu’il va falloir prendre en considération également. »
De la salle, Mr : inaudible … « Pourtant il y a des personnes qui veulent partir, quitter leur emploi… »
Dr J.J.Chavanat : « Vous avez rencontré des gens qui vous ont dit ça, peut-être certains cas particuliers, mais globalement on ne peut pas tellement dire que les travailleurs quittent facilement le navire, et quand ils ont quitté le navire, c’est souvent qu’ils en ont pris beaucoup ! Vu les difficultés actuelles pour retrouver un travail, c’est pas exactement la même chose qu’ il y a 30 ou 40 ans, quand on était pas content on partait; et on allait chercher du travail ailleurs, c’est plus vrai ; donc globalement la problématique n’est pas tellement des personnes instables qui ne veulent pas se battre, mais en général si elles veulent partir c’est parce que, certainement, que pour eux c’est insupportable. Peut-être partir avant de tomber malade, parce qu’ ils ont un autre choix de vie, ça on n’en sait rien. Donc de ce côté là, je ne vous suivrai pas complètement, car la plupart des personnes qu’on voit sont plutôt accrochés à leur travail, justement par l’importance de cette activité qui est le travail, une activité tout de même qui leur permet de faire quelque chose de bien, c’est ce qu’on appelle la belle ouvrage, le beau travail qui va nous emmener toute la journée. Quand ce travail est maltraitant, et bien quand même on essaie de faire ce qu’on peut, et on a vu après des modifications dans la valeur travail, c’est peut-être ça que l’on pourrait discuter. »
Dans la salle Mme Chantal Cazzadori : » Je trouve cette pièce fantastique, en ce sens qu’elle présente beaucoup de tableaux dans sa mise en scène. Chacun des tableaux renvoie d’ailleurs aux images et au corps. A la fin du spectacle, le dernier tableau renvoie à la singularité des métiers, des sujets et là on se rappelle , on se dit, que tous ces gens qui font ces métiers spécifiques ont une tête, un corps, une compétence. Ce que l’on essaie de faire aujourd’hui dans le monde du travail c’est justement d’abolir le sujet pensant, c’est-à-dire d’abolir sa subjectivité qui ne se chiffre pas ! Si je reprends encore un de ces tableaux de cette magnifique pièce, ce qui me frappe et ce que j’entends aussi, combien on veut gommer les différences. L’entreprise devient un lieu trop ouvert, où tout le monde est ensemble, « copine », se tutoie, et par cette façon de confondre le public et le privé, de ne plus mettre de barrières, plus de hiérarchie, on tombe dans l’illusion. C’est une bonne façon de fabriquer de l’homogènéité, comme si on était tous pareils, ce déni de la différence est un danger. Il gomme la subjectivité et fait ainsi le jeu de ce néo-management, lié au libéralisme débridé qui viendrait ‘tuer le sujet’. »
Dr J.J.Chavanat : Est-ce-que vous êtes d’accord sur la désubjectivation des salariés, qui justement a été tout à fait remarquablement montrée ,sur ces animations des jeux, qui mettent en place des systèmes, qui sont en apparence totalement dérisoires et ridicules et pourtant fonctionnent assez souvent ? ».
De la salle, Melle : « J’ai une proposition à faire, c’est d’inviter ce spectacle dans les Ecoles de Management et d’encadrement, merci beaucoup parce que c’est un spectacle qui fait du bien et qui donne une direction. Je trouve que l’art, la pratique artistique, est trop absente du monde du travail, ce type de proposition artistique vaut beaucoup de cours magistraux, sur l’encadrement, sur le fait de constituer des collectifs de travail. Après sur la question du collectif et de l’individuel qui est abordée dans le spectacle, il y a le gros problème de l’évaluation individuelle des agents, qui s’avère scientifiquement démontrée comme quelque chose de catastrophique en sciences humaines, et qui laisse penser que ce serait individuel, c’est-à-dire que si un travail est bien ou est mal fait c’est l’individu qui est en jeu, alors que le travail est collectif, il ne peut être que collectif.Si on est seul à travailler dans un bâtiment vide, on est forcément lié à ceux qui ont travaillé la veille ou vont travailler le lendemain, donc comment on peut reconstruire du collectif dans le travail ? Là vous parlez beaucoup du monde ouvrier, c’est vrai aussi pour les milieux intellectuels, comme dans les administrations et les métiers de services. Voilà, ma question qui reste ouverte c’est : comment reconstruire du collectif ? En tout cas merci. »
Dr J.J. Chavanat : « Pour reconstruire du collectif, il faut prendre conscience de l’importance du collectif, ça pourrait être de Mr de La Palice, ce que je vous dis là, mais je fais exprès.C’est à dire que les prises de conscience c’est vraiment quelque chose de difficile surtout quand on est pris et formaté dans un système, c’est très difficile de prendre conscience. A notre place là, lorsque nous sommes spectacteurs, ou nous qui sommes habitués à réfléchir sur les processus de travail, ça tombe sous le sens. Nous nous disons : mais c’est pas possible, le fait de briser les solidarités, comment ont-ils pu accepter ça ? D’individualiser, de faire une notation complètement individuelle avec des obligations « individuelles » : « qu’est-ce-que tu vas faire cette année? Où est-ce que tu vas porter ton effort ? Tu vas avoir fait quel gain? etc. Mais il y a aussi une autre chose, c’est l’importance de la qualité collective, ils disent eux aussi tous ensemble, parce que les patrons ne sont pas idiots ! Tous ensemble sur votre chaîne ou sur un certain type de travail que plusieurs vont mettre en place, dans un petit groupe ou dans un groupe moyen, et c’est ainsi que vous allez augmenter votre qualité. On peut penser que l’on va forcément augmenter cette qualité facilement. Et qu’est-ce-que ça veut dire augmenter la qualité ? Je crois qu’il y a aussi une autre difficulté, c’est la difficulté de, soit individuellement, on va plus ou moins truquer, on va faire pour être mieux, soi collectivement on va plus ou moins truquer tout autant. Il n’en a pas parlé Christophe Dejours, mais ça c’est également un cheval de bataille important. Ce risque, n’est pas tourné réellement vers quelque chose qui est une valorisation du travail, donc un travail bien fait, mais au contraire, c’est exactement l’inverse, c’est un travail qui va être plutôt plus mal fait, dans la mesure où on va pousser les gens, à faire telle ou telle chose devenue de fait irréalisable. A la fois individuellement et collectivement, alors ça paraît complètement antinomique, je dirais pour un manager. Un manager, à priori, qu’est-ce-qu’il veut ? C’est de faire du bon travail et gagner de l’argent. Ce qu’il va faire souvent, c’est qu’il va y avoir beaucoup de déchets, de choses qui ne marchent pas parce que son management n’est pas de qualité. »
De la salle, Mr : » » Pour rebondir sur la question de l’art, Jean-Pierre, le fait de jouer devant des managers et plus globalement quelle est la réaction du public ? »
Jean Pierre Bodin : « En fait c’est comment unir nos efforts, comment essayer de réfléchir ensemble ! Là du coup à partir du plateau.. Je ne sais pas si les écoles de management sont intéressées par ce genre de spectacle en ce moment, si elles vont faire appel à nous ? Christophe Dejours, a accepté d’être avec nous et d’être filmé, au moment où l’on discute avec lui pour le questionner sur la souffrance au travail, Alexandrine lui pose la question d’un seul coup : « Est-ce-que vous accepteriez d’être mis en scène ? », c’est-à-dire de témoigner, ça se voit pas il est juste assis sur la même chaise que moi, (rires) ça fait mise en scène… et du coup, on est face à ce chercheur, ça a pris quinze secondes, qui nous dit : « je vous dis oui et je vais vous dire pourquoi ? On a besoin de relais, le cinéma est important, le théâtre, tous ces arts sont importants, c’est grâce à eux qu’on va sans doute pouvoir continuer à avancer dans notre recherche ». Alors effectivement comment continuer à conjuguer nos efforts pour pouvoir faire ça? D’ailleurs, samedi prochain on est invité par un comité d’entreprise, pas très loin d’ici, c’est la SNECMA à Chatellerault, alors je leur dis : « c’est pas le spectacle de fin d’année avec le sapin de Noël ».. non, non,.. (rires), on est au courant c’est pas ça du tout, mais si on vous fait venir, c’est qu’on a des raisons.
L’idée de cela, c’est de réaliser ce qui se passe ce soir aussi. Bon, les écoles de management, je ne sais pas…Evidemment le spectacle c’est de lier, de faire vivre ensemble, et ce qu’on a bien aimé, avec Christophe Dejours, ce chercheur, pour lui, il n’y a pas de fatalité, il est dans le faire, réfléchir à des solutions. Dénoncer c’est bien, faire des constats, mais faire aussi. »
Alexandrine Brisson : « Pour apporter une toute petite pierre à votre désir, qui est le nôtre aussi, en ce moment avec Christophe Dejours, on est en train de faire quelque chose, on est aux prémisses de quelque chose qui est… justement de montrer qu’il y a des solutions qui existent, qu’elles ont été mises en place, que ça fonctionne, et du coup on est en train de faire un petit film, pour l’instant à destination des grandes écoles de management. Actuellement, la première qui ont dit oui, c’est Science Po et c’est extraordinaire, on est vraiment très heureux, et voilà, c’est une évidence, votre question m’a fait du bien, car c’est exactement là où en est Christophe Dejours, qui a absolument envie d’aller dans ce sens. Sauf qu’un spectacle c’est très difficile, déjà un comité d’entreprise c’est une première étape. On a de toute façon et très régulièrement des débats, soit avec la médecine du travail, soit avec des spectateurs, parce que ça concerne énormément de monde. C’est pour vous dire que c’est ça qu’on a en tête, après aller jouer dans des écoles de management, c’est compliqué. »
Dr J.J. Chavanat : » C’est aussi le rôle des DRH, il n’y a pas qu’eux, bien sûr, ils sont en première ou deuxième et troisième ligne, en tout cas ils sont importants. Là aussi pour avoir un discours un peu optimiste, pour aller dans ce sens là, il y en a un certain nombre de personnes qui accepte de venir à certains séminaires, à quelques formations qu’on organise avec quelques collègues. Sur notamment le risque suicidaire, et ce qu’il faut faire, et comment y réfléchir, à travers justement le fonctionnement du travail. Et on a régulièrement, sur une journée ou deux jours, une cinquantaine de personnes qui viennent comme ça, de toute la France. Je pense qu’il y a tout de même quelques personnes qui se posent des questions, à ce niveau là. »
De la salle, Mlle : « A contrario, on parle là, des managers, des directions des ressources humaines, moi comme jeune active, je remarque que nous salariés, employés, nous n’avons pas forcément les clefs pour réagir à des situations qui se posent. Comme vous vous souvenez tout à l’heure, le tutoiement, une relation parfois qui permet l’effacement de la hiérarchie, je pose la question de savoir comment on peut accompagner, le travailleur, l’actif, dans l’appréhension et la compréhension de son environnement, pour que lui puisse, si le cadre n’est pas posé, lui se poser un cadre ? Je remarque aussi que le travail dans lequel on évolue à 25-26 ans est différent de celui dans lequel a évolué nos parents, et les conseils qu’on peut nous donner, ne sont pas applicables, n’ont plus de valeur. Je pense que la question ne peut pas se faire que du DRH et/ou du management, mais de nous, en tant qu’individu aussi, savoir nous accompagner et nous former, nous préparer au monde du travail. Je vois par exemple que dans l’administration on rejoint complètement la réalité d’une usine, d’une entreprise, c’est la même chose. »
Dr J.J.Chavanat : « tout à fait, on a parlé de ça parce que c’est venu, mais nous ne sommes pas obnubilés par les managers. Je suis assez d’accord avec vous, que la réflexion elle doit se faire, au niveau de chaque travailleur, c’est sûr, c’est bien évident quelque soit son poste. Quand on a comme vous 25 ou 26 ans qu’est-ce-qu’ il faut faire ? Quand on a un cadre un peu flou, qui ne convient pas forcément, comment je dois répondre ? Est-ce que je dois faire comme tout le monde, parce que sinon, je vais être stigmatisé, et on va être dans le coin, c’est-à-dire comme celle qui est stigmatisée parce qu’elle ne joue pas, avec les autres ! Il y en a pas pour tout de ces choses là, mais je crois que ça existe pour de vrai, comme le disent les enfants. Je crois qu’il y a, une façon de faire assez banal, pas forcément si facile, mais assez banal, c’est-à-dire, de voir si on a suffisamment confiance en soi, de pouvoir se faire respecter, ça a l’air assez simple ce que je dis, mais c’est pas si évident que ça. Parce que, on est pas forcément dans un milieu hostile, mais dans un milieu quand même mouvant, et où, un peu comme les adolescents, je dirais, que quand on est pas comme les autres, c’est quand même pas facile.Vous savez que les adolescents, ce qu’ils ont besoin, c’est d’être comme tout le monde. Je veux dire que là, dans un milieu de travail, quand on est pas comme tout le monde, quand on dénote un peu, au départ, c’est quand même assez difficile. Mais vous pouvez éventuellement, parfois entraîner un, deux, ou trois avec vous, qui dit « Ben oui, moi, j’osais pas, je savais pas trop comment faire. » Là aussi, faut pas complètement désespérer, tous les lieux ne sont pas hautement pathogènes je dirais. Mais parfois ce sont des milieux qui mettent en place, des relations inter-humaines qui ne sont certainement pas les meilleures, mais qu’on peut non pas changer peut-être, mais en tout cas s’en protéger en grande partie. Dire par exemple : « toi tu me tutoies pourquoi pas, mais moi j’aime pas trop ça ! ou être obligé d’embrasser son chef de service tous les matins, quand on n’a pas envie de le faire.. pour prendre un exemple un peu bateau. »
De la salle, Mr : « C’est la deuxième fois que je vois le spectacle de Jean Pierre, j’ai là, la même impression, alors je dis, je suis syndicaliste, j’ai été syndicaliste dans l’entreprise de 1500 salariés, délégué syndical CGT et secrétaire du CHSCH, et ce spectacle me renvoie… le titre est très évocateur : » très nombreux et chacun seul », et me renvoie au collectif. Ce que je crois, c’est pas un problème de génération aujourd’hui, les mots ont peut-être changés, et les formes de travail ont changées, les conditions du travail ont changées, mais l’organisation d’un collectif, se fera par la volonté de chacun de s’organiser, c’est pas évident, mais aujourd’hui, dans beaucoup d’entreprises c’est la difficulté. Evidement je connais bien le problème de Deshoulières, je suis ami avec Philippe Widdershoven, et Dominique. Philippe comme d’autres, même dans son syndicat il était isolé, il a porté beaucoup trop seul la charge qui lui était incombée. J’ai eu la chance dans mon entreprise, où nous étions une bonne douzaine, à se voir très régulièrement. Nous sommes devenus un syndicat CGT majoritaire, donc nous avions un certain nombre d’élus, nous étions une force collective très importante. J’ai vu des collègues venir en situation dépressive, ou pré-suicidaire, venir dans notre local, pleurer, dire les choses simplement, je peux en citer une :
dans un groupe de travail, le chef de l’unité, convoque tout son petit groupe en disant « l’année prochaine, il va encore falloir en faire davantage,( ça c’est le discours que tout le monde connaît.. ) j’ai besoin de toute vos disponibilités, (il avait pour l’essentiel des femmes dans son unité de service), et il a dit : « j’espère qu’aucune d’entre vous n’aura l’idée d’avoir un enfant l’année prochaine », (et il y avait une collègue qui venait d’apprendre depuis quelques semaines, qu’elle était enceinte) alors il pose la question : « C’est bien le cas ? » . Elle lève la main timidement, en rougissant, les larmes un petit peu aux yeux, en disant « ben si moi, « .. Elle attendait son troisième enfant. La réponse du chef de service c’est : « mais vous êtes pire qu’une lapine ».. Et la collègue s’est effondrée, et c’est une autre camarade du syndicat qui lui a dit : « vas voir nos amis, ils sont peut-être dans le local syndical ». Elle a pleuré, ça a duré plus d’une heure.. Et tout de suite après,on a réagi, on a sorti un tract de quatre pages qui a été diffusé immédiatement, dénonçant cette attitude provocatrice, et là, je crois qu’à partir de ce moment là, ce n’était plus son problème à elle, mais c’était le problème d’un collectif. Et c’est ce qui nous manque terriblement aujourd’hui. C’est pour cela qu’en tant que syndicaliste, je le prends en pleine figure ce spectacle, parce que quelque part, il y a une faillite de nos organisations collectives, notamment des syndicats dans les entreprises. Donc ça renvoie à une autre question, celle de l’organisation , alors on peut trouver tout un tas d’excuses.. On en connaît des excuses, la cotisation, j’ai pas le temps etc.. ce que nous montre le spectacle c’est qu’elle est essentielle cette organisation collective dans l’entreprise, oui essentielle. »
Dr J.J. Chavanat : « Alors l’organisation syndicale, ça c’est évident, est promordiale et je pense qu’ on a tous intérêt à pouvoir y souscrire, mais même en dehors de l’organisation syndicale, on doit avoir aussi des possibilités, à deux à trois à quatre, de se mettre un peu ensemble, pour des évènements de la vie quotidienne, afin de pouvoir se faire respecter. »
De la salle, le syndicaliste GCT reprend la parole : » Je voulais terminer par une demande, mais je sais pas si c’est possible. Il faut absolument que ce spectacle, il rentre dans l’entreprise, notamment au niveau des CHSCT. Je me demandais s’il n’y a pas de possibilité, sous forme de DVD, de faire quelque chose, qu’on pourrait diffuser largement, et ensuite il suffirait que des intervenants, psychiatres, psychologues, etc., viennent éventuellement animer le débat, parce que ton spectacle on va pas pouvoir le présenter dans les CHSCT, d’abord parce qu’il y a un problème de coût quelque fois , dans les petites entreprises, mais il faut absolument qu’il rentre dans l’entreprise ce document. Je sais pas si c’est réalisable. »
Jean Pierre Bodin : « On peut faire un autre spectacle, faire un tapis roulant de 50 cm, (rires),non mais après, c’est faire effectivement une autre forme de création, mais celui-là, il est comme ça. »
Alexandrine Brisson : » Excuse moi de t’interrompre .. C’est juste pour dire, que par exemple, pour moi ce spectacle, c’est du spectacle vivant, c’est pour ça que je trouve formidable que Jean Paul ait eu envie quand même qu’il existe ici, puisque c’est un festival de cinéma, oui d’images animées, et même moi, dans mon grand amour des images et du cinéma, j’ai fait en sorte, que surtout l’espace du théâtre soit respecté, c’est-à-dire que je projette pas sur un écran blanc, je projette sur du noir, c’est extrêmement important que les images ne viennent pas bouffer, c’est vraiment lui, c’est l’humain au coeur de ça, et si je ramène les images, à aucun moment elle ne doivent être en rivalité avec le jeu de l’acteur et avec le poème. Donc tout à coup, s’il met ça.. alors déjà c’est pas notre politique dans la compagnie, ce n’est plus du spectacle vivant ! et que je trouve toujours qu’on trahit.; alors c’est l’éternel problème de l’adaptation d’un roman, on trahit toujours à faire des.. des.. alors en plus, tu me poses la question au moment où je résiste, je me bats, on me demande de partout des images, des extraits de tous les spectacles de Jean Pierre pour que ce soit vendu sur images. Et aujourd’hui, alors que depuis des années, on achète des spectacles, simplement parce que l’on sait, on a confiance en quelqu’un, on sait que quelqu’un fait du bon travail et qu’on peut l’acheter, on peut faire confiance aux artistes de près. Maintenant on vous demande des machins des trucs, c’est la dictature de l’image, je prêche pas pour (qu’on existe ? mon église ??) parce que pour moi c’est l’image, et du coup, je freine des quatre fers. Je vois des gens qui sont en train de filmer ce soir, c’est très bien, c’est sans doute pour l’aventure de filmer le travail, mais ça me hérisse quand je vois un caméra dans une salle de spectacle.. C’est « gonflé » de ma part alors quand on fait des images. Alors effectivement on s’est posé la question, d’ une autre forme du spectacle, ce sera toujours du spectacle, mais faire un dvd, soit c’est ce qu’on est en train de fabriquer avec Christophe et c’est une autre aventure, que ce soit très technique, ou bavard mais ce spectacle là, il est unique en tant que spectacle vivant. »
Jean Paul Géhin , président du festival filmer le travail : » Vous avez posé le terme essentiel c’est le collectif. Je vois à filmer le travail, bien des gens nous disent, on pourrait peut-être montrer les films dans telle classe ou dans tel endroit, et nous disons : « il faut montrer les films dans les grandes salles, dans des cinémas, dans du collectif, avec du débat. » On a sans doute le même avis là-dessus, et c’est important de maintenir ces questions là. »
« Je comprends ce qu’elle dit Alexandrine, je ne l’ai pas provoquée, mais ceux qui pourraient être intéressés, ils ne sont pas là, ils ne viennent pas dans ces spectacles là. »
De la salle , Melle : « En Poitou Charentes, il y a un réseau de comités d’entreprises qui organise chaque année un temps de visionnage en direction de tous les comités d’entreprises partenaires. Ils se fédèrent, c’est le collectif qui joue, chacun apporte de l’argent, ils louent une salle, et proposent que pendant une journée de visionnage des spectacles pour aider les délégués. Là, il faudrait peut-être leur proposer ce spectacle -là ? »
Alexandrine Brisson : « Mais ils ne sont pas là, ce soir !
C’est une très, très bonne idée, répondra le Dr, J.J. Chavagnat. »
De la salle, Mr : « Christophe Dejours, ne dit pas là que ça peut s’arranger ? Il nous dit que le travail tel qu’il est organisé par le nouveau management, ça entraîne à trahir ses voisins, ses amis, à se trahir, c’est quand un petit peu désespérant .. Sa description correspond à beaucoup de chose, elle est faite aussi dans ses livres.. Vous dites qu’il faut reconstruire du collectif, il existe quand même des classes sociales, un patronat qui casse les syndicats, pourquoi Dejours il en parle pas ? Il parle du managment avec la banalité du mal, si la banalité telle que Arendt la décrit pour Eichmann, alors on n’a plus qu’à prendre les fusils on flingue ceux qui sont responsables ! Donc il y crois pas, car il continue à être professeur.. Je trouve qu’il y a un écart important entre une dénonciation et une prise de position politique ! »
Dr J.J. Chavagnat : « La dénonciation elle existe et elle devient de plus en plus entendue, en cela c’est déjà quelque chose qui est nouveau. Depuis 10 ans,ce genre de discussion, de prise de conscience est quand même beaucoup plus important qu’auparavant. Deuxième point, qui va dans l’autre sens, et il le dit ailleurs, c’est que ce qui est inquiètant, c’est que des personnes se suicident, depuis 10 ans, sur leur lieu de travail , ce qui est quand même relativement nouveau ! En 1996, j’avais fait un congrès sur les risques du métier, à Poitiers, soit le suicide dans différents métiers, c’est vrai que c’était pas abordé de la même manière. J’en ai discuté récemment avec Christophe Dejours. Il me disait : « vous comprenez bien qu’il y a quand même eu du changement. » Je lui disais : « je suis d’accord avec vous, là ça me saute à la figure de manière encore plus importante, même si tout cela est inquiétant ! Mais ce qui est positif tout de même, c’est qu’on peut aujourd’hui en discuter grâce à ce spectacle, et aussi grâce à d’autres acteurs.J’ai tendance à penser qu’une certaine prise de conscience collective, nous permettra tout de même, j’espère d’économiser quelques vies, même si, en effet, ton aspect militant est à prendre en compte. J’en suis bien d’accord, mais camarades prenons-nous les armes ce soir ? Des responsables il y en a, dans cette histoire, on les montre du doigt bien sûr. »
De la salle, Mme : … « Sur le mot désolation…sur la notion de l’égalité, il y aurait un gros danger, on voudrait la faire exploser, d’un côté on dirait qu’il y a celles dites sociétales donc d’égalité entre hommes et femmes, et celles dites sociales.Il y aurait un combat sur les questions, comme si l’égalité renverrait à des questions d’intellectuels engagés et celles sociales aux travailleurs.Qu’est qui est juste, faux, pas juste là ,vrai, pas vrai, est-ce-que l’égalité est importante, la liberté ? Il y aurait à mettre des choses en valeur sur la souffrance au travail effectivement, au niveau de tous et au niveau des métiers féminins particulièrement. Quand vous parlez d’organisation individuelle, tous les individus de la sté ne sont pas à égalité.. »
De la salle, Mr : « Je voudrais revenir sur le rôle du manageur évoqué déjà à plusieurs reprises, je suis représentant du personnel et je fais des expertises pour le CHSCT, ce que je constate souvent, c’est qu’on a aussi en face de nous, des managers qui eux-mêmes sont en souffrance, par des pervers parfois ou rarement, on a plutôt affaire à des gens en souffrance, par la pression qu’ils ont surtout pour les managers de proximité. Derrière, finalement, on met des paravents pour éviter de se poser les vraies questions. Il y a une évolution des organisations dont Christophe Dejours parle un peu dans cet interview.Ces nouvelles organisations qui sont, quand même, de plus en plus du côté de la déshumanisation, et auxquelles on forme chaque année, des bataillons de jeunes diplômés qui sortent d’écoles de commerce et de management , et qui vont garnir les rangs des responsables d’entreprises., et en particulier aussi, dans les cabinets de consulting qui vont prêcher la bonne parole, sans aucune critique par rapport à ce mode managérial qu’on leur aura inculqué , appris et qui font beaucoup de dégâts. »
De la salle, Mr : « Ma question au psychiatre , on se suicide au travail, ça veut dire qu’on tourne l’arme vers soi. Qu’est-ce-qui fait qu’on retournerait l’arme contre l’autre, la personne en face de soi.. on en entend peu de ces situations ! Une autre question, qu’est ce qui ferait que ça augmente ? Car on en parle plus ? »
Dr J.J.Chavagnat : « Il peut y avoir ce qu’on appelle des homicides sans suicide, c’est un meurtre. On peut toujours tuer quelqu’un ! On peut dire camarades prenons les armes et allons tuer.. En fait on va pas le dire.. C’est vrai que cette idée là, en fait j’ai connu sans faire des révélations fracassantes, mais une fois dans ma consultation, les personnes qui sont venues me voir, qu’on m’a amenées, parce que ces deux personnes qui étaient des cadres de haut niveau, voulaient tuer le directeur général, c’était deux hommes et se suicider. Ils n’ont pas tué le directeur général et ne se sont pas suicidés, mais, ils avaient cette intention là, de manière très claire. Je n’ai pas connu de gens qui avaient tué d’autres personnes. De toute manière, que ce soit l’homicide ou le suicide, c’est quand même quelque part, un moment donné de détresse tellement importante, qu’on va perdre cette capacité à pouvoir décider, tellement la souffrance est importante. On est dans une situation que l’on appelle de désespoir. C’est très important ce que dit Christophe Dejours à un moment donné, c’est qu’il n’y a pas forcément de maladie mentale. C’est vrai et c’est pas vrai. C’est vrai dans le sens ou un épuisement professionnel, dans une organisation pathologique , n’importe qui peut etre mal et va être mal, mais tout le monde ne va pas forcément se suicider, heureusement, parce qu’il y en aurait beaucoup plus. Donc on voit bien que , là, il y a aussi des circonstances particulières et une personnalité. Par contre, il y a quelque chose qui me paraît très dangeureux, on ne peut pas tout dire ici, mais je reprendrai avec lui, ce qu’il dit par ailleurs, à savoir, que il faut faire très attention , quand notamment les patrons disent par exemple, si Gérard Dupont, s’est suicidé c’est parce qu’il était vulnérable, ou parce qu’il était plus faible, ou tout ce qu’on veut etc. Alors ça, c’est très dangereux de dire une chose pareille, parce que c’est la plupart du temps faux, mais parce que c’est pas du tout comme ça qu’il faut voir les choses. Ce qui est intéressant, c’est pas d’interroger ou seulement expertiser l’individu, c’est expertiser le système,l’organisation du travail, là je suis d’accord aussi avec Christophe Dejours.Quand celle-ci est « pathogène », n’importe qui, va forcément être mal. Ensuite, il peut avoir un certain nombre de symptômes, ça été dit, la liste peut-être longue. Ce peut être des symptômes, physiques, psychologiques, physiques et psychologiques, comportementaux, d’agressivité, sans aller jusqu’à l’homicide bien sûr, mais il peut y avoir, des manifestations d’agressivité, notamment des manifestations dépressives chez l’homme, c’est souvent de l’agressivité, car il va lutter contre ses affects dépressifs et il va être agressif, ça c’est tout à fait banal. En plus, il peut y avoir des prises de toxiques, de risques, il peut avoir un accident du travail, alors que l’accident du travail n’arrive pas non plus, forcément, « dans n’importe quelle circonstance », c’est souvent parce qu’il y a un dysfonctionnement dans la chaîne du travail.
De la salle, Mr : « Je voulais dire deux choses, à la fois que j’aimais beaucoup le spectacle, surtout dans la période qu’on traverse, qui est une période où on nous fait une énorme propagande sur le coup du travail, pour le capital. En mettant complètement de côté, que l’idée que le travail a un coût pour les salariés, un coût humain. Nos petites vies, sans salaires,le travail à mi-temps, et ce que l’on est obligé de ravaler par rapport au boulot qu’on propose. Par contre je suis plus déçu, en particulier sur la fin, je pense pas que ce soit un retour à des travaux qui effectivement étaient valorisants pour les gens qui les faisaient. C’est pas le retour au plumassier, ni à l’ébéniste, etc. la question elle est effectivement d’avoir à la fois du collectif, mais aussi d’avoir un horizon qui dépasse les conditions dans lesquelles on travaille aujourd’hui. La Sté qui est la nôtre, ne peut produire que ce travail-là ! Même si le débat est un écho à la pièce, Je ne pense pas que la solution est de faire un management bio.. (applaudissements et rires). »
De la salle, Mme : inaudible..
J.P Bodin : « Du coup je vais lancer un appel ! Comment on peut faire ensemble, l’exemple de Châtelleraut en est un. Le comité d’entreprise qui a envie qu’on organise avec le théâtre, comment faire avec le théâtre, pour que le C.E. puisse venir dans le théâtre, parce que la forme théâtrale est directe et importante. L’objet théâtral, sa forme artistique déclenche des discussions immédiates. Comment faire pour faire venir ces gens de l’entreprise ? »
Alexandrine Brisson : « Pour les ouvriers et employés de cette entreprise là, c’est 3 euros la place, on ne peut pas faire plus accessible.. Après, Je vous propose à chacun d’y réfléchir chacun et ensemble. »
de la salle, Mme : « Je crois beaucoup à cette forme là, justement, le théâtre vivant, il a un autre impact. C ‘est difficile mais possible. Nous, comité d’entreprise nous allons dans ce sens, pour susciter grâce à l’artiste, une participation active, c’est une gageure,même si c’est difficile, j’y crois. »
De la salle, Dr Belric : « J’apporte mon témoignage par rapport à la consultation santé et travail à Poitiers, et notre travail à Chauviny. Durant le débat de cette soirée, on est allé des problèmes psychologiques à ceux du travail. Comment lutter contre les conditions du travail pour éviter que les personnes se suicident ? Ce qu’il faut comprendre c’est que ce n’est pas la personne qui aurait des problèmes psychiatriques, c’est lié aux problèmes d’organisation et de fonctionnement du travail. On peut parler de pathologie réactionnelle aux conditions de travail. Puis il y a un troisième point, c’est celui de ceux qui restent les proches, comment se reconstruisent-ils à partir de leur souffrance ? Les médicaments apportent un peu mais pas beaucoup, des temps d’échanges seront essentiels là aussi. »
Dr J.J.Chavagnat : « Il faut savoir que la grande majorité des gens ne veulent pas mourir, mais tuer la souffrance en eux, l’important c’est donc bien de prendre en compte cette souffrance. »
De la salle, Mr parle du suicidé Philippe Widderschoven : inaudible
Dr J.J.Chavagnat : « Juste un mot, le suicide c’est pas quelque chose qui va se décider aussi clairement que ça. Quand on interroge, on échange avec les personnes qui sont venues nous voir très peu de temps après, à postériori, on pouvait identifier un certain nombre d’éléments. Il était à bout en effet, hyper investi, il sentait bien qu’il y avait des problèmes de loyauté interpersonnels, comment faire pour avoir ces deux casquettes etc., ce sont des difficultés éthiques personnelles très difficiles.Tout cela fait le lit, le risque bien évidemment de passer à l’acte. Maintenant on peut toujours s’interroger sur ce qui aurait été possible, à faire à ne pas faire.. je pense que c’est pas ce soir qu’on va en débattre. »
Remerciements. Fin du débat
Chantal Cazzadori
Psychanalyste
Invitée au Festival
Débat enregistré par mes soins et retranscrit ici.
Au départ de ce nouveau cru Très nombreux, chacun seul, notre désir à Alexandrine Brisson (réalisatrice) et moi, de parler du monde ouvrier. Nous voici partis à la rencontre d’ouvriers, à Saint Junien, Sommières, Melle, Niort, Châtellerault, Chauvigny… avec nos carnets de notes, notre micro et pour la première fois avec une caméra pour glâner témoignages, gestes d’hommes au travail, visages, usines.
Nous voici aussi plongés dans les textes de Simone Weil, Henri Chombard de Lauwe, Christophe Dejours, François Bon, Bertolt Brecht, Etienne de La Boétie, au festival « filmer le travail », ou fouillant dans L’inventaire des mémoires ouvrières de Poitou-‐Charentes.
Peu à peu s’est dessinée une direction plus précise, et nos recherches se sont concentrées une fois de plus à Chauvigny (ville fondatrice du « fameux » Banquet de la Sainte-‐Cécile, et par laquelle repassent tous les spectacles suivants). Nous découvrons en effet un article de Sonya Faure, journaliste à Libération, retraçant la vie d’un homme et de l’entreprise qui l’emploie. Cet homme se nomme Philippe Widdershoven, il était à la fois directeur informatique et délégué CGT au sein de la fabrique de porcelaine de Chauvigny. Il se donne la mort le 24 mars 2009, en laissant une lettre sur son lieu de travail demandant à ce que son suicide soit reconnu comme accident du travail. Et, fait rarissime, son acte est déclaré comme tel par l’entreprise.
La question de la souffrance au travail s’impose alors comme incontournable.
Le sujet nous amène à Christophe Dejours (chercheur, psychiatre spécialiste de la souffrance au travail) qui accepte, au cours d’une rencontre au CNAM, d’être « mis en scène » et filmé pour que sa parole, sa pensée de chercheur, vienne sur le plateau éclairer le récit. Christophe Dejours accepte, heureux que le théâtre s’empare de ce sujet, en écho sensible à des recherches scientifiques.
Aujourd’hui, le spectacle s’articule autour de pensées diverses(paroles populaires, journalistiques, scientifiques, philosophiques, poétiques), d’images de jardins ouvriers, d’usines, de visages, de gestes de travailleurs. Ma démarche habituelle qui consiste à faire osciller le spectateur entre rires et larmes, est cristallisée dans un « Cabaret du Scandale » qui entraine le public dans les jeux monstrueux des nouveaux managements pour « ne pas penser le souffrance ».
Jean-‐Louis Hourdin (metteur en scène, « délégué de la parole des poètes »), Roland Auzet (compositeur) et Cécile Bon (chorégraphe) nous ont accompagnés pour raconter par le théâtre cet état des lieux du monde du travail, comment l’organisation du travail peut générer des égarements, des souffrances, la perte de la notion du vivre ensemble et de l’estime de soi.
Mais comme le dit si bien Christophe Dejours : « Il n’y a pas de fatalité » ! Le théâtre permet aussi de rester debout et donner à entendre et à voir un chant joyeux contre ceux qui bafouent le vivant.
Jean-‐Pierre Bodin
Lire l’intégralité du texte ici: http://www.jeanpierrebodin.com/docs/Tresnombreuxchacunseul_dossier.pdf
Poétique du corps au travail
Venir du dehors, de ces jardins sans âge, et entrer en douceur dans des petites vies d’hommes et de femmes. Découvrir un espace vide où un homme s’emploie à nous offrir le récit du travail, celui qui fut, celui qui est, celui qui meure, celui qui tue.
Les mots de vie et l’humanité en marche, à reculons ou pas, sans trêve, qui avance sur un tapis roulant, efforts vains puisque la machine rompt l’homme et le réduit à l’obéissance sans espace de réflexion ni de répit.
Rentabiliser. Objectifs.
Objectifs justement :
Filmer le vide, le trop plein, ou l’infiniment petit du geste qui prend toute la place.
Se saisir de ce que le corps et l’esprit ont mémorisé du geste lorsque celui-‐ci est séparé de l’outil.
Se situer entre le geste et l’objet, et l’offrir en très grand à la vue, sans souligner le récit, au contraire, autre récit silencieux, ou plus exactement emplit du bruit du geste lui-‐même sans commentaire.
La répétition du geste, annihilant l’être pour aider à la rentabilité du faire.
Les mouvements inlassablement répétés : torsions, élévations, pressions, préhensions, flexions. Attention, fragile !
Corps soumis aux machines, machine lui-‐même.
Corps en vie tant que le geste la remplit.
Puis corps malades
Et corps en arrêt.
Silence
Et vide
L’immensité du vide et du silence lorsque s’arrêtent les cadences.
Résonance de l’espace lui-‐même, livré à lui-‐même.
Et visages reflétant le trajet, la lumière du feu et la pénombre des nuits, la brûlure du temps et la trace des rires, elle-‐même inscrite en eux, au plus profond des rigoles creusées dans la chair.
Ombre et lumière sur les yeux qui fouillent la mémoire et, silencieux, nous racontent une vie de labeur.
L’image tremblante, presque délavée, surgie de l’obscurité, projetée sur le tulle noir pour faire oublier l’écran entre deux projections. Jardins ouvriers. Usines patronales. Chercheur mis en scène pour ne donner à entendre que le déroulé de sa pensée. Et le geste de l’homme, décuplé, amplifié par tout son récit, qui offre à l’imagination les images silencieuses.
Ne pas montrer ce qui se dit, mais dire ce qui se tait.
Alexandrine Brisson
Lire l’intégralité du texte ici: http://www.jeanpierrebodin.com/docs/Tresnombreuxchacunseul_dossier.pdf
Cie La Mouline | Jean-Pierre Bodin
Très nombreux, chacun seul
Spectacle diffusé à Châtellerault grâce au Comité d’Entreprise de la SNECMA.
Ouvrier s’imposant à tous par sa qualité professionnelle, Philippe Widdershoven, gravissant tous les échelons, était devenu directeur informatique d’une usine de porcelaine, à Chauvigny dans la Vienne ; et, par son dévouement aux autres, délégué du personnel CGT. Le 24 mars 2009, il se suicide, froidement, dans un acte réfléchi préparé avec soin, comme tout ce qu’il fait. Rien ne laisse prévoir le geste, mais il laisse une lettre où il demande que son suicide soit reconnu comme accident du travail. Ce qui, fait rarissime, a été déclaré comme tel par son entreprise.
Pourquoi ? Partant de cette interrogation, Jean-Pierre Bodin se livre à une formidable exploration du monde du travail et de ses mutations. Ponctuée d’une intervention filmée d’un psychiatre spécialiste de la souffrance au travail, ainsi que de nombreux témoignages, dont ceux des anciens ouvriers de Châtellerault, il donne la parole aux « petites gens », avec une générosité fraternelle.
Une pièce qui oscille entre autopsie d’un drame et rêve de noblesse ouvrière, dont le sérieux sait ne pas négliger la légèreté, voire le rire.
Pour tout savoir sur Jean-Pierre Bodin
Collectif de réalisation: Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean-Louis Hourdin, Roland Auzet | Avec : Jean-Pierre Bodin et la participation de Christophe Dejours | Sur une idée de Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson | Textes : Simone Weil, Jean-Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Christophe Dejours, Sonya Faure (Libération du 15 avril 2009) | Mise en scène : Jean-Louis Hourdin | Musique : Thibault Walter. Images : Alexandrine Brisson | Travail chorégraphique : Cécile Bon | Lumières : Gérard Bonnaud | Costumes : Alexandrine Brisson | Régie générale : Jean-Pierre Dos | Régie lumière et constructions : Jean-Baptiste Herry | Régie son et images : Bruno Michelet | Production déléguée : La Mouline, Jean-Pierre Bodin | Coproduction : Act-Opus, Compagnie Roland Auzet, GRAT, Jean-Louis Hourdin, la Ville de Chauvigny et Mégisserie Saint Junien | Avec l’aide du Ministère de la Culture – DRAC Poitou-Charentes, l’aide à la diffusion de la Région Poitou-Charentes et l’aide du Conseil Général des Deux-Sèvres | Avec le soutien du Théâtre Dijon Bourgogne, de la Société d’archéologie et du Musée d’histoire et d’archéologie de Chauvigny | La Mouline est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Poitou-Charentes et la Région de Poitou-Charentes.
© Vincent Arbelet