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À propos de ce que l’on dénomme perversion

Affiche du Film « Parle avec elle », de Pedro Almodovar

J’ai fait un titre qui laissait quand même ouvert à d’autres réflexions, parce que je ne prétends absolument pas cerner tout ce qu’il en serait de la perversion.
Je remercie Maria-Cruz Estada de m’avoir fait parvenir son texte présenté à Lyon, qui s’appelle : « Ca se passe ici dans mon corps ». (1)
Elle y reprend entre autre, le film de Pedro Almodovar : « Parle avec elle ».

Déjà, dans ce titre, il y a un élément de perversion, c’est-à-dire de détournement, puisque dans le film c’est un homme qui parle à une femme dans le coma. Ce n’est pas « Parle lui ou je lui parle », parle avec elle, il y a déjà dans le titre ce détournement. Le terme la perversion est issu du verbe « pervertir », qui signifie littéralement « détourner », d’après l’étymologie latine pervertere : « mettre sens dessus-dessous » et globalement « action de détourner quelque chose de sa vraie nature ».
Le sens moral du verbe pervertir (« convertir au vice ») date du XVIIe siècle et a longtemps eu une connotation religieuse. Faire le bien au lieu de faire le mal, signifie là aussi un détournement du but de ce qui était recherché. A cette époque, les religieux et le judiciaire définissaient la perversion comme un comportement qu’on pourrait qualifier d’a-social qui mettait en danger les valeurs de la société ainsi que la morale religieuse. Le judiciaire était chargé de tracer les frontières entre ce qui était bien et ce qui était mal, de les repérer, de punir et de protéger la Société de ces actes délictueux.
Ensuite, c’est la psychiatrie qui est venue mettre son ordre, afin de dénommer ce qui serait normal et pathologique. Un des premiers psychiatres, Richard von Kraff-Ebing, a commencé à en parler en 1886, dans l’étude des perversions sexuelles intitulée , Psychopathia Sexualis, publiée en 1886, qui popularisa les termes masochisme et sadisme, passés dans le langage courant. Cette étude fait référence aux oeuvres respectives de Leopold von Sacher-Mason et du Marquis de Sade. Ensuite est venu Valentin Magnan, (1835-1916), médecin aliéniste, qui a fait le lien en 1905 entre la perversion et le sexuel chez les pervers. Un autre médecin neurologue Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse, fera paraître un ouvrage d’importance : « trois essais sur la théorie sexuelle », qui rassemble ses hypothèses sur la place de la sexualité et son devenir dans le développement de la personnalité. Freud employait aussi le mot de « perversion », il lui a donc donné son statut de sexuel qui produira une rupture épistémologique avec ce qu’il en serait du pathologique.
De nos jours, une connotation morale et péjorative persiste, même pour nous analystes et j’essaierai de vous dire pourquoi. Lacan reprendra la question de la perversion pour en faire le point d’interrogation entre structure et fonctionnement du mécanisme pervers. Lacan n’aura pas tranché, disant ne pas pouvoir en faire une structure dans la mesure où les quatre éléments n’y sont pas. Ce qui ne l’empêche pas de parler parfois de structure perverse.
La théorie psychanalytique n’est pas là pour définir le bien, le mal, ce qui se fait ou pas, soit la sexualité normale au sens social du terme, mais davantage pour repérer comment un sujet humain se dépatouille de la question du désir et de l’humain. Lacan a essayé un peu plus que Freud de tirer la perversion dans le champ de ce qu’il appelle : « normalité », Jean-Pierre Lebrun, dans son livre : « La perversion ordinaire », parle de perversion normale. Lacan a toujours dit que dans toutes les structures névrotiques, psychotiques et perverses, il y avait des fonctionnements adaptés. Lacan a sorti du champ de la pathologie la psychose, puisqu’il existe des psychotiques parfaitement intégrés dans la vie, qui ne décompenseront jamais ou peut-être un jour, mais ce n’est pas parce que l’on est psychotique que l’on est fou. La différence est bien nommée ici.

Niki de Saint Phalle : "La Cabeza", cour du 104 à Paris
Niki de Saint Phalle : « La Cabeza », cour du 104 à Paris

Pour avoir accès au langage, le sujet humain va, dans son rapport au monde rencontrer les bons et mauvais objets et ainsi passer par ce que Freud a appelé le jugement d’attribution qui préside à la naissance de l’inconscient. L’entrée dans le langage le mettra immédiatement dans le champ maternel, pris ainsi dans le désir maternel comme dans le discours signifiant maternel. Pour ne pas devenir fou, il devra prendre son affaire de désir et de sujet en main, autrement dit faire objection à l’Autre, l’Autre maternel. Alors comment cela se traduit ?
Dans les psychoses, le petit sujet n’y arrive pas vraiment, sauf de manière embarrassante, puisqu’il va se produire ce que Lacan a nommé la « Forclusion du Nom du Père », c’est-à-dire une carence symbolique majeure.
Dans la névrose, ce qui est propre à tous les humains, il va y avoir un passage par le refoulement primaire, puis secondaire, et le retour du refoulé.
Le sujet va aussi vouloir refuser la réalité d’une perception vécue comme dangereuse ou douloureuse pour son moi. Il va alors faire appel à des mécanismes de défense pour empêcher un conflit entre une perception fort désagréable et une perception voulue en accord avec sa réalité pré-construite.
Rappelons nous l’exemple de Freud, la patiente a fait un rêve et lui dit : « j’ai rêvé d’une femme, non ce n’est pas ma mère ! ». La conscience est affleurée, et en même temps déniée. Freud parlera de dénégation.
Plus qu’une négation le mot dé-ni exprime bien un refus de reconnaître ce que les sens montrent.
Le sujet va nier la réalité par ce mécanisme de défense, terme de déni avancé par Freud en 1923.
L’origine du déni c’est la manifestation d’un rejet radical portant sur la réalité de la castration. Le jeune enfant, qui vit suivant le principe de plaisir, réagit en face de l’absence de pénis chez la fille en niant ce manque pour conserver la croyance en l’existence d’un phallus maternel.
Comment distinguer le déni de la dénégation ?
Le sujet dira : « Je sais que c’est presque impossible, mais j’y crois – (la croyance indubitable se traduit d’ailleurs par l’ajout dans la phrase du mot « presque », alors que la réalité de la situation est justement impossible). C’est sur ce principe que l’on peut différencier déni (Verleugnung) et dénégation (Verneinung).
Freud parlera de déni, de désaveu.
Lacan en parlera en terme de démenti, voire ce qui est encore plus juste : le « louche refus ».

Cinémathèque de Paris, cycle Truffaut 2014
Cinémathèque de Paris, cycle Truffaut 2014
Nous allons nous centrer sur ce « louche refus », propre au fonctionnement pervers qui porte sur la perception de la différence des sexes, où au moment ou elle se présente au niveau de la vue, du regard, il pourrait penser :
« Je l’ai vu, mais je l’ai pas vu ».
C’est-à-dire que la femme apparaît châtrée, mais eu égard à sa construction le pervers dira qu’elle ne l’est pas. Dans ce démenti le « je sais bien » implique que la castration soit prise en compte, suivi de « mais quand même », il s’agit là du déni de la castration, par peur qu’on le lui coupe.. comme nous le rappelle Octave Mannoni avec cette célèbre phrase : « Je sais bien, mais quand même ». Ce louche refus permet au sujet de tenir debout, d’un côté de pouvoir rester accrocher du côté du désir incestueux pour la mère et de la mère, dans cette jouissance là, et de l’autre, accepter les lois du langage passant par la métaphore paternelle, soit la loi, qui va permettre l’accès au désir au sens où Lacan l’a proposé : $ poinçon a, le sujet dans un certain rapport avec l’objet a. Dans le fonctionnement pervers, le sujet obtient le beurre et l’argent du beurre. Or, pour accéder au désir, nous savons qu’il doit perdre quelque chose du côté de la jouissance maternelle, qu’il doit faire de sa castration, la castration maternelle, et dans cette perte il va alors y gagner du côté de son désir. Ce que dans le fonctionnement pervers il n’y a pas, nous pouvons le dire ainsi : « à qui gagne, perd ».
Cette opération, va lui coûter énormément, bien qu’il pense s’en tirer à bon compte.
Cela va donner ce : « je sais bien mais quand même ! », un certain rapport aux femmes voire un rapport certain aux femmes. Un certain malaise, ce même sentiment je l’ai retrouvé dans le texte de Maria-Cruz Estada, qui nous dit avoir été particulièrement choquée en tant qu’analyste et femme, par le film d’ Almodovar, justement par son rapport de « vide » aux femmes. Au contraire, il semblerait que les hommes restent davantage fascinés par le pervers, vu l’éloge de la pensée qu’ils en font . Les pervers ont à faire à une manière particulière de s’adresser aux femmes, justement vu la question du déni de la différence des sexes, et du coup cette manière de s’adresser à elles est questionnante. Nous pouvons dire qu’à un moment de sa vie, une femme risque fort de rencontrer la question du pervers et si c’est le cas, elle sort de cette rencontre de façon assez démolie. Comme elles en paient le prix, elles ne peuvent pas dire que c’est une structure psychique comme les autres.

Qu’est-ce-qui fait justement que dans son rapport à une femme, celle-ci va être plus ou moins détruite ou effondrée pour un temps, par sa rencontre avec un pervers ?
Nous pouvons avancer qu’à la place de l’absence de pénis, il va y avoir cette horreur pour le pervers, et qu’il va affubler, construire un phallus à l’intérieur de la femme. Son horreur dans la rencontre avec une femme ce n’est pas tant, l’horreur du gouffre, mais d’y trouver le phallus symbolique que la femme aurait à l’intérieur d’elle.
Robert Levy intervient : « Juste une petite parenthèse sur le film d’Almodovar, parce qu’il y a justement une petite scènette très intéressante de ce point de là, où on voit le personnage tout petit, face non pas au phallus mais au vagin de la femme. On voit bien cette construction précisément dont tu parles, construction du phallus à l’intérieur du vagin, c’est-à-dire que c’est lui qui entre dans ce vagin, entier. Je trouve que c’est vraiment une représentation tout à fait remarquable, bon, cinématographique, mais qui quand même renseigne sur ce point là en particulier, de ce que tu es en train d’évoquer justement. Tu te souviens de cette scènette ?
C’est remarquable de l’évocation de la construction du phallus à l’intérieur de la femme.
Françoise Fabre répond : « Je n’ai pas vu le film, j’ai refusé d’aller le voir, j’aime beaucoup les films d’Almodovar en principe, mais celui-là, je n’ai pas pu. Quand j’ai connu le thème décalé : « Parle avec Elle ». Il lui parle alors qu’elle est dans le coma et il l’a viole à la fin. Je fais référence ici au texte de Maria-Cruz Estada.

Chaussures de femme du créateur Louboutin
Chaussures de femme du créateur Louboutin

Une autre possibilité défensive, c’est la mise en place d’un fétiche, c’est-à-dire, cet objet inerte pris sur la femme ou pris ailleurs, détaché, inanimé qui va être la condition de la jouissance du pervers. Souvent il s’agit des chaussures, pas toujours mais souvent, dont on voit bien l’emblème phallique que ça représente. J’ai entendu un interview passionnant du créateur de chaussures Louboutin, qui vient bien illustrer finalement pourquoi la chaussure peut-être fétiche, il dit : « Je ne faisais que des chaussures pour femmes, parce qu’une femme a des chaussures, ça fait partie de son corps, comme prolongement . » Il a refusé de faire des chaussures pour hommes à un chanteur en précisant bien que les chaussures ça portent… Oui, Il le disait bien !
Freud en 1919, va mettre le point d’origine du fantasme pervers et de la perversion sur la question de la scène primitive. Dans sa construction « Un enfant est battu », puis, « mon père bat un enfant que je hais, donc il m’aime, et dans la cure « mon père me bat », mais qui n’apparaît pas, c’est une construction. L’enfant dans son fantasme, se fixe à un point de jouissance dans la scène primitive, point de jouissance qu’il ne quittera pas. Du point de vue de Freud, ce n’est pas de lui dont il s’agit, il s’agit d’un protagoniste de l’histoire. Tout en construisant une métaphore paternelle qui n’est pas forclose, il va garder ce point qui va être son point de jouissance, dans la scène primitive, qui sera accompagné pour lui de masturbation, sur lequel va porter l’interdit de la jouissance à retrouver mais coupable. Lacan n’a absolument pas contredit cette version.
Si dans le fantasme: $ poinçon a, du névrosé ordinaire, où il n’y a pas de rapport direct avec l’objet, Lacan nous montre dans un trajet autour de l’objet dans son schéma , où l’objet est envoyé comme un missile sur le sujet, il lui revient dans cette courbe par court-circuit de la pulsion. Par exemple : dans l’homosexualité masculine, côté pervers, on connaît tous ces pratiques vouées aux regards, adressées sans un mot, qui fait lever la personne concernée de sa chaise ou de son bout de plage et sur un regard, elle se lève, ils partent dans les dunes, hop c’est consommé, et hop on reprend ses activités. !!
Robert Levy intervient : « ça fait rire les femmes, ça ne fait pas rire les hommes ».
Françoise Fabre : « Je ris en le racontant.. dans mon évocation et ma représentation, mais non ça ne m’a pas fait rire du tout.. (anecdote vécue à Montpellier pour conter la petite scènette du bout de plage ou croyant se faire séduire par un bel homme très excitant qui s’approche, mais malgré ses charmes, étrangement, elle s’aperçoit que c’est vers un autre homme qu’il se dirige..) En effet, la femme n’existe pas dans le regard désirant de l’ homosexuel, elle est alors réduite à l’état de rien, voire de merde.. elle s’endormira face à cette étrangeté, elle ne riait pas.. ça efface le sujet qui va dans cette histoire contée s’endormir pour oublier la déception de ne pas avoir été l’objet du désir, de cet homme, puisqu’ici, l’objet du désir est bien la recherche du même.
Serge Sabinus : « Tu n’as trouvé personne pour parler avec toi ! ».. rires dans la salle.
Françoise Fabre, : « Oui, en effet, ça ne m’a pas fait rire du tout.. », j’ai disparu dans le sommeil.
C’est une expérience que beaucoup d’entre nous ont pu avoir faite.
Robert Levy, rappelle qu’il parlait sur la description de l’acte (on peut en rire quand on est femme).
Françoise Favre reprend son exposé : « Là, je reviens sur le schéma L de Lacan, le schéma ordinaire on lit :
rappel :
$, identifié homophoniquement au ça freudien qui signifie le sujet de l’inconscient pris dans les rets du langage et ignorant de ce langage.
a désigne son moi
a’ ses objets, les autres
A désigne le Grand Autre, trésor des signifiants ou autrement dit le « lieu d’où peut se poser à lui la question de son existence.
L’axe a a’ du moi à l’autre est ligne de fiction; le rapport de $ à a est sous la dépendance d’un tel axe imaginaire. Il s’agit de pointer la relation à l’autre comme pur échec. Lacan montre dans ce schéma que la seule relation qui est atteinte, est un rapport d’un moi à un autre moi, d’une fiction à une autre. L’axe imaginaire dénote que cette relation entre deux images n’est que fantasme ; là dedans ne se trouve nul sujet. Ce rapport imaginaire fait finalement obstruction à la relation ; il n’est pas relation réelle – quelle intersubjectivité noter dans cet axe a a’ ? On peut voir cet axe a a’ comme l’opposition la plus formelle à la théorie de la relation de l’objet, qui se veut restituer en psychanalyse quelque chose de l’interactivité qui noue les êtres.
Si le sujet de l’inconscient voulait bel et bien contacter un Autre, cet Autre se trouve de l’autre côté du mur du langage, là on ne l’atteint jamais. Ce mur du langage se rapporte au signifiant : un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant le sujet se trouve déjà mis hors circuit de sa vérité de sujet dans le langage. Le mur de langage fait obstruction ; je veux atteindre l’Autre par la parole, mais cet Autre s’avère hors de portée. Le langage est aussi bien fait pour nous fonder dans l’Autre que pour nous empêcher radicalement de le comprendre.

Affiche de l'exposition "Sade, attaquer le soleil", Musée d'Orsay
Affiche de l’exposition « Sade, attaquer le soleil », Musée d’Orsay

Dans la perversion ça ne se passe pas du tout pareil.
Le pervers s’imagine ETRE l’autre, il n’est pas dans une identification du névrosé qui s’identifie à..
Lacan dit bien, il s’imagine ETRE l’autre, il confond sa position imaginaire a a’, le petit phallus qui veut combler, avec la relation symbolique $ A.
Le névrosé lui, confond sa position symbolique $ A avec la relation imaginaire a a’
Ce qu’il faut saisir là, c’est que la perversion est le négatif de la névrose nous disait Freud.
Partout on trouve la formule inverse c’est-à-dire, la névrose est le négatif de la perversion,
la phrase c’est bien la perversion c’est le négatif de la névrose.
Là où manque le phallus, le sujet place le fétiche, entre autre, phallus imaginaire, lui-même est le phallus et ne l’est pas, toujours dans ce louche-refus, ce démenti, qui tient les deux bords à la fois. Cela donne pour le sujet pervers : une instabilité dans l’assise symbolique.
Cela donne pour le névrosé un fantasme dur comme le béton, il lui faudra beaucoup d’années d’analyse pour que le rapport à l’objet soit un peu plus assoupli. Mais en même temps ça lui donne des bords qui permettent une certaine solidité dans le rapport aux humains. Ce qui n’est pas le cas dans le registre de la perversion, où le symbolique est beaucoup plus instable, de ce fait là même puisqu’il a affaire au phallus imaginaire.

Comment parler du scénario pervers en termes analytiques ?
C’est un fantasme, au lieu d’être dans l’inconscient il est agi sur la scène du monde, il n’est pas agi dans le monde, il est agi sur la scène, et sur la scène il est encadré.
Tout scénario pervers est assez immuable, ça nécessite un fantasme conscient qui n’est pas la monstration d’un scénario, il s’agit d’ une scène donc ni d’un fantasme, ni d’un scénario, c’est une scène sur le monde, très cadrée, qui a besoin de se répéter, alors que le névrosé avec son fantasme inconscient ne connaît rien de son fantasme conscient d’ailleurs. Pour répéter ces situations il n’a pas besoin de faire des choses immuables, pour tenter de mettre une inscription comme nous le dit Brigitte Lemérer, dans « Les deux Moïse de Freud (1914-1939), qui a très bien démonté le mécanisme du démenti, où elle reprend le louche refus. C’est-à-dire qu’au moment de la perception, au lieu d’inscrire, dans les traces du refoulement ce qu’il en serait de la perception, c’est mis au rebut, ça ne s’inscrit pas, ce n’est pas forclos mais mis au rebut.
Comme cette perception n’est pas inscrite, la tentative d’inscription se fait sur la scène du monde, dont la fonction serait définie d’en inscrire quelque chose, et ça ne s’inscrit pas, donc à refaire, à remettre sur le tapis, cela demandera aux pervers, beaucoup de temps et d’énergie.
Robert Levy rappelle que : « Pour le pervers, c’est une véritable répétition au sens ou ça se reproduit à l’identique alors que Lacan a dit pour ce qu’il en est de la répétition ce n’est jamais la même répétition, là c’est au sens fondamental de la répétition à l’identique de la même scène, immuable avec toute la loi qui s’y accroche ».
Françoise Fabre reprend. Si ce scénario est encadré, c’est justement parce qu’il y a de la loi et justement cette loi vient quand même border l’excès de jouissance. Ce que Lacan amène du côté des jouissances autres, et Jouissance de l’Autre, les trois jouissances, il fait un pas de plus par rapport à Freud et à la pulsion de mort.
La phrase de Lacan c’est : « L’amour permet à la jouissance de condescendre au désir », dans la construction ordinaire névrotique. Pour ce qu’il en est de la perversion, ce qui est recherché activement, c’est ce qui fait que le rapport à un pervers, au un par un, c’ est une relation très particulière, et on ne peut pas dire que les gens qui ont affaire à cela, se sentent très bien après.
Le pervers va chercher la jouissance de l’Autre, le grand Autre, en se faisant l’objet et va essayer de produire la division subjective du partenaire effectivement, en s’en faisant l’objet. Une division subjective de l’autre partenaire est imposée en SE faisant l’objet et cela va déclencher l’angoisse de l’autre et sa division subjective qui va ouvrir vers la Jouissance Autre, dans la surprise la plus totale du partenaire qui lui n’en demandait pas tant. Il va éprouver l’horreur et l’angoisse et chacun est aboli en tant que sujet. Ce qui laisse à penser que c’est que la relation à un sujet pervers, dans tout ce montage de sujet partenaire, il y aura un sujet ou chacun est aboli, ce qui laisse à penser qu’effectivement, la relation à un sujet pervers est destructrice en visant la Jouissance de l’Autre. L’édifice du névrosé est alors sacrément ébranlé. Lacan ajoute que pervers ayant accès à la métaphore paternelle, ce qu’il refuse c’est de se confronter au père réel, mais la métaphore il l’a, elle est quand même a peu près en place et ça fonctionne.
Robert Levy dira que ça se discute.. A la différence de la psychose où la forclusion lui tombe dessus, le névrosé est passif face à cela, alors que le sujet pervers lui est actif, il récuse, il refuse de se confronter au père réel, tout en sachant qu’il est là, et qu’il y a une loi qui est édictée. C’est cela qui va venir faire barrage à la jouissance, pour ne pas rester dans une zone et ne pas aller jusqu’à la mort, il va y avoir un anéantissement subjectif, mais ça peut aussi aller jusqu’à la mort réelle de l’autre. Il y a les écrits de Laure Bataille, une des femmes de Georges Bataille qui s’est suicidée et son neveu Jérôme Peignot, qui s’est brouillé avec son père qui ne voulait pas publier les écrits de Laure sa tante. Il a réussi à publier « Ma mère diagonale » en 1972, avec l’aide de M. Foucault et M. Duras. Il témoigne à un moment où elle était tellement dans cette jouissance Autre, que ça s’est terminé par un suicide. En ce qui concerne la femme de Gide, Maria-Cruz Estada, en parle dans son texte. Il ne la touche pas, ça a été l’amour de sa vie mais pas comme objet de désir, je t’aime et je ne te touche pas, comme un petit garçon.. Elle a fini par s’étioler, tomber malade et là, il éprouve un plaisir sans nom à lui soigner ses varices, la soigner, c’est-à-dire à la toucher, au moment où il ne peut plus y avoir de l’érotisme. C’est presque du cadavre, quelque chose qui est hors découpage érotique. Via la métaphore et la loi qui viennent barrer la jouissance pour aller jusqu’à la destruction, à la mort, pas dans tous les cas.

Couverture du livre  "Laure. La sainte de l'abîme" Élisabeth Barillé (Auteur) - Flammarion (éd.)
Couverture du livre « Laure. La sainte de l’abîme »
Élisabeth Barillé (Auteur) – Flammarion (éd.)

Alors si dans la névrose le fantasme vient soutenir le désir défaillant, et demande à l’autre ce qui lui convient, le pervers lui se situe du côté de la Jouissance de l’Autre, il est un attrape jouissance comme on dit un attrape nigaud. Alors non seulement cela, mais il veut être aussi le démonstrateur de la jouissance de l’Autre, il est touché par le besoin de prouver, d’où ce que l’on a pu appeler pas forcément la raison, mais le prosélytisme, soit démontrer comment on jouit. L’ordonnateur de la jouissance de l’autre là où le partenaire est forcé et ce n’est pas n’importe quel forçage, sous contrat dans le montage des partenaires.
L’ exhibitionniste qui dans la rue, en ouvrant son imperméable, va saisir dans l’intime, le forçage du regard de l’autre est lui aussi soumis à un contrat non explicité, dit implicite mais c’est quand même un contrat qui lui permet de jouir de la vue du phallus, le précisera Robert Levy. Le contrat implicite c’est « jouis de la vue du phallus en quelque sorte ».
Le voyeur pervers, porte un coup au lieu même où se tient la victime, c’est à dire que c’est l’Être de jouissance qui est visé et pas un objet avec lequel il jouit, ce n’est pas ça.
Son activité reste dans les conditions du désir en tant que soumis à la Loi, (nous dit Lacan), qu’il prétend transgresser et dont il ne fait que nous montrer l’existence.

Françoise Fabre
Psychiatre et Psychanalyste à Paris
Membre actif de l’Association Freudienne de Paris



(1) Voir texte de Maria-Cruz : « C’est là que ça se joue : dans mon corps »

 Annette Messager, mes vœux, 1988-1990, Fiac Paris 2014 Grand Palais

Annette Messager, mes vœux, 1988-1990, Fiac Paris 2014 Grand Palais