Promenade dans l’abord de l’auteur du crime pervers, livre de Marie-Laure Susini
Questionnement autour de : « névrose et perversion ».
Dans son livre, l’Auteur du crime pervers, Marie-Laure Susini, psychanalyste de patients dits criminels dangereux, réunit des héros monstrueux portés aujourd’hui par la légende, le mythe, a postérité : Barbe bleue, Landru, Sade et quelques autres…
Nous nous intéresserons plus précisément à Gilles de Rais, précurseur historique des Serials Killer contemporains. Né en 1404 à Champtocé, au bord de la Loire, Jean de Craon, son aïeul maternel l’élèvera à partir de ses 11 ans, orphelin de père et de mère. Il reçut un enseignement violent de ce grand-père redouté pour son avidité, sa cruauté et son cynisme. Très tôt, son petit-fils sera spectateur des misères et supplices de la guerre, avec son cortège de viols, incendies, étripages au couteau. La vie de Gilles de Rais commence à ses 20 ans, marié, père et déjà riche. Il rencontre Jeanne et conquiert avec elle les territoires occupés par les Anglais. Il devient Maréchal de France après la victoire de la Pucelle devant Orléans. Ce qu’il va mettre en scène après la mort de Jeanne D’Arc en 1431, puis celle de Jean de Craon, en 1432, représente le deuxième volet de son histoire glorieuse. Le valeureux jeune homme plein de bravoure se métamorphosera. De noble guerrier historique, il deviendra un « monstre ». Il fuit la guerre et commence en secret, une série de meurtres.
Marie-Laure Susini, va tenter à partir de ces différents assassins de l’histoire de déceler une identité de structure par de-là les variantes de chaque cas. Elle va créer, une entité : »l’auteur du crime pervers », pour le différencier du criminel pervers classique, au sens commun du terme, malfaisant, déviant, manipulateur. « Il est criminel par ce que sa relation particulière à l’Autre, et d’abord à l’Autre de la rencontre sexuelle, l’y contraint ». (1) nous dira-t-elle.
Dans son rapport au monde, il apporte une réponse personnelle à la pulsion sexuelle. C’est la spécificité de son crime pervers. Ce qui est en jeu, c’est la répétition du crime lié à la sexualité. Comme l’acte sexuel, le tueur en série éprouve la même nécessité de le reproduire…. en quoi le premier crime contient-il déjà cette logique ?
D’autre part, M.L. Susini choisit de l’appeler « l’auteur », par ce qu’il exerce sur l’autre une violence inouïe et qu’il associera son public à son drame. Auteur, metteur en scène, organisateur d’un spectacle mélangeant sa vie à son crime. Si cette mise en scène vise la réaction du public, le spectacle serait monté et joué à notre attention. Les crimes contemporains font beaucoup parler leur auteur par les formes divertissantes de nos moyens de communication actuelle. Gilles de Rais, lors du procès à tenu son audience en haleine, passant de l’angoisse à l’horreur voir l’effroi. Il serait ainsi le premier auteur d’un crime pervers qui affirme avoir tué des enfants pour son plaisir, voluptueusement. Auteur et vedette d’un genre nouveau, il créa son spectacle d’un bout à l’autre de sa descente aux enfers. Il révèlera par le menu, les détails de ses pratiques sexuelles et sa jouissance à égorger, étriper les jeunes garçons.
Provocations, injures, repentir et aveux scandaleux, nous seront transmis par les minutes du procès dans leur intégralité. La nouvelle sera terrible : le crime et la jouissance sont intrinsèquement mêlés. En jouant ainsi sa propre vie en même temps que sa mise en scène, dans sa propre représentation, Gilles de Rais, jouerait son fantasme nous rappelle M.L. Susini : « tailler, éventrer, trouer, découper.. prélever quelque chose sur le corps qu’il découpe, qu’il fend, pour y soustraire quelque chose.. cette découpe, cette soustraction effectuée sur l’autre se retrouve toujours dans la structure de l’acte criminel pervers, même quand elle n’apparaît pas d’emblée. »
Quand M.L Susini, parle du fantasme du criminel, elle analyse sa construction comme une contrainte d’autant plus rigide qu’inconsciente, comme s’il avait prévu, voulu, cette émotion insoutenable du public. Narcissique, il se satisfait d’être l’objet de tous les regards. Vedette, premier rôle il jouira jusqu’au bout de sa réplique, sa diction, son maintient devant les publics de l’audience du Tribunal lors de son rapide procès de 13 jours, nous sommes au Moyen Age..
De quel fantasme s’agit-il ici ? celui du névrosé est concerné par la castration. Le fantasme est structuré phalliquement. Le rapport à la chose, ce rien que l’autre possède et qui le fait
être homme ou femme.. d’une jouissance castrée.
Quel usage du fantasme fera le pervers en situation de complicité avec son objet dévolu ?
Nous savons que du point de vue de son contenu, tout fantasme est pervers par essence. Le névrosé conjugue son désir et sa jouissance dans son fantasme imaginaire, en secret, pour goûter à la tentation perverse. Activité solitaire, secrète sans lien avec le collectif.
Chez le pervers, au contraire, sa construction prend sens en devenant publique dans son acte. Sans s’en rendre compte, le pervers, va se servir du lien social pour s’accomplir dans sa singularité. Il va inclure l’autre, consentant ou non dans son scénario pervers. Agent, il va manoeuvrer l’autre pour s’assurer dans sa démonstration que la jouissance chez l’autre est là, près de son désir, en continuité. Car pour le pervers, un désir qui ne s’achève pas en jouissance n’est que mensonge, escroquerie ou lâcheté.
Chez le névrosé, c’est le désir qui soutient sa jouissance, c’est pourquoi, il se soutient d’un désir insatisfait (dans l’hystérie), d’un désir impossible (dans la névrose obsessionnelle), d’un désir prévenu (dans la phobie). Il déchantera vite, l’objet sur lequel il s’appuyait va le décevoir, ce ne sera pas ça.. d’où la culpabilité qui va de pair avec la jouissance du névrosé.
Il en va tout autrement du pervers, pour qui le désir ne peut qu’être que le désir de jouir, et non le désir de désirer ou désir de désir comme pour le névrosé. Il va convertir l’autre ou le
forcer pour le mettre au défi. Son rapport à la loi et à la jouissance n’est pas celui du névrosé. Obéir à la jouissance, c’est devenir serviteur modèle de cette obligation de jouir.
C’est par son ACTE « fou », dont il ne peut rien en dire, qu’il va jouir de l’Autre.
La grandeur du péché invoqué par G. Bataille dans la biographie de Gilles de Rais, n’épuise pas la singularité de l’énigme, souligne M.L.Susini.
Il mourra en Chrétien pendu comme Jeanne et enterré, assuré d’aller au Paradis. Il partageait avec le diable sa terrible jouissance, livrant à celui-ci ses éclats de rire devant les spasmes,
le dernier souffle des enfants. Il avait pactisé avec le démon en scellant de son sang, l’offrande de chair découpée et prélevée sur le corps. Comment comprendre ? « il avait espéré gloire
et puissance en servant le bon plaisir du Diable, loyalement, certain d’avoir consacré toute sa vie au service de l’Autre, de ne pas s’être dérobé, il s’apprête à aller voir l’autre face du
Diable, qu’il appelle Dieu « . M.L.Susini.
Adorer Dieu, pactiser avec le Diable, étrange paradoxe. Le paradoxe n’est pas une contradiction. Dieu ou le diable, ça se traite pareil, il s’agit des deux faces de la même personne.
Poussé dans ses retranchements, le pervers fera une leçon de morale. Une apologie paradoxale de la vertu. Il souhaitera que sa confession fasse récit en langue vulgaire afin que tous, puissent s’instruire, de génération en génération pour que cette barbarie n’ait plus jamais lieu. Qu’étale-t-il en fait ? si ce n’est un enseignement sur la jouissance, révéler ainsi la vérité du plaisir, faire rêver les névrosés en quête de fantasmes pervers.
N’oublions pas que tout a commencé après la disparition de cette figure d’autorité terrifiante, Jean de Creon. Pour tout expliquer et en fait pas davantage, on pourrait user de cet argument psychologique, que l’aïeul disparu, ce garde-fou faisant fonction de protection et d’interdit à la fois, aurait laissé le champ libre à la menace de l’Autre : la mère, la femme, le diable, dieu… L’Autre qui exige tout, impérativement, jusqu’au mal suprême. L’Autre qui abuse et jouit de vous. N’assurant plus la fonction symbolique pour endiguer la voracité de l’Autre. Abandonné, sans défense, Gilles de Rais, trouve un subterfuge pour ne pas sombrer dans la folie. Offrir ce qui manque à l’Autre, le complète, le satisfait.. et là, dans cette nécessité il trouve un objet à offrir à cet Autre. Ce sera la Voix, qu’il échange pour combler. Comme il jouit de la voix des enfants de choeur, de la voix d’agonie des petites victimes de sa torture, de sa voix de commandement qu’il a donné à Jeanne pour lancer les troupes. Ce même objet de jouissance, objet de la pulsion de Gilles de Rais, il va en faire la base de sa relation à la réalité. Il se complètera et satisfera l’Autre ainsi.
« L’objet qui le satisfait, la Voix, l’objet de son plaisir, et ce qui le complète, la voix est aussi la cause de mon désir, trésor de l’organe du garçon. Voix éphémère vouée à la disparition du garçon pré-pubère de la chorale. Souffle éphémère, qui va s’éteindre, du garçon qu’on étrangle. Furtif passage, présence de l’absence…le manque se fait objet. Le phallus se glisse dans la voix ». M.L. Susini.
Il fera de Jeanne, une Femme complète en lui offrant ce qui lui manquait. La voix réduite à un pur objet tel le souffle du mourant qu’il offre à l’Autre.
Le sujet disparaît, étant identifié à cet objet en l’Autre.
Terminons par Michel Tournier, dans sa romance « Jeanne et Gilles » qui écrit humoristiquement sur la question de la voix :
« Jeanne, je crois que chacun de nous à ses voix. Des voix mauvaises et des voix bonnes. Je suis le petit taureau de Champtocé, né dans la Tour noire de la forteresse. J’ai été élevé par mon grand-père, Jean de Craon, un grand Seigneur, mais aussi un aventurier de sac et de corde. Les voix que j’ai entendues dans mon enfance et de ma jeunesse ont toujours été celles du mal et du péché. Jeanne, tu n’es pas venue sauver seulement le Dauphin Charles et son royaume. Sauve aussi le jeune seigneur Gilles de Rais ! fais-lui entendre ta voix. Jeanne, je ne peux plus te quitter. Jeanne, tu es une Sainte, fais de moi un Saint ». (2)
Chantal Cazzadori
Octobre Novembre 2007
Biographie :
(1) l’auteur du crime pervers de Marie-Laure Susini p13 etc..
(2) Alain Fournier : Gilles et Jeanne p. 25 – 26
Serge André, psychanalyste belge, sa conférence à Lausanne : la signification de la pédophilie le 8.06.1999 site internet Oedipe .
* Chantal Cazzadori, psychanalyste