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La mise à Mort du Travail-La Destruction

DVD La mise à mort du travail

La section LE CROTOY-RUE de la Ligue des droits de l’Homme
organise une projection débat du film-documentaire
« La mise à Mort du Travail-La Destruction »
(68 min.)
Le mercredi 2 avril 2014 à 19h30
au cinéma Le Pax de Quend
Tarif unique : 5€


Belle_Dune_Carte

La projection sera suivie d’un débat animé par :
Chantal Cazzadori, psychanalyste, formatrice et consultante dans les entreprises, auteur de « L’effroi du néo-management. Trois expériences impossibles aujourd’hui ? »
Josiane Annerel, responsable formation et recrutement d’un site industriel de 500 salariés durant 25 ans, et enseignante à l’UPJV en ressources humaines

synopsis : Dans un monde où l’économie n’est plus au service de l’homme mais l’homme au service de l’économie, les objectifs de productivité et les méthodes de management poussent les salariés jusqu’au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n’ont atteint un tel niveau.
Des histoires d’hommes et de femmes chez les psychologues ou les médecins du travail, à l’Inspection du Travail ou au conseil des prud’hommes qui nous révèlent combien il est urgent de repenser l’organisation du travail



Jean Robert Viallet, aujourd’hui auteur réalisateur, se passionnait à 20 ans déjà pour le documentaire de Chris Maker, « Sans Soleil », il sait alors ce qu’il veut faire. Il démarre, 10 ans après, son premier long métrage de fiction, « Dancer in the Dark » de Lars Von Trier. En 2006, il se lance dans son premier documentaire et les prix tombent. A 40 ans, il achève une mini-série « la mise à mort du travail », documentaire en trois volets contre le « prêt à penser » pour lequel il décroche en 2010, le prix de l’audio-visuel Albert Londres, une récompense amplement méritée. D’autres distinctions l’ont honoré : Etoile de la Scam en 2O10 et prix spécial public à Poitiers , Festival « Filmer le travail ».

Cette oeuvre rend intelligible le monde de l’entreprise ramenée à sa logique économique qui pulvérise les liens sociaux et humains, en nous démontrant comment ses logiques de rentabilité peuvent tuer le travail lui-même, d’où son titre : « la mise à mort du travail ».
On y découvre de façon didactique les dessous d’un capitalisme financier qui détruit le capitalisme industriel d’une manière cynique et sans bornes.
Invitées par la Présidente Sandra Bordji et son équipe, de la section « La ligue des Droits de l’homme » le Crotoy – Rue, Josiane Annerel -responsable de formation et recrutement d’un site industriel de 500 salariés- et moi-même, avons animé le débat qui suivit la projection du film.
http://site.ldh-france.org/le-crotoy-rue/

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droitDurant deux heures d’échanges bien fructueux, nous avons réfléchi sur les dysfonctionnements des modes managériaux qui précisément désorganisent le travail pour le rendre pathogène. Je relèverai ici de mémoire, quelques points forts qui ont fait débat public, auxquels j’ajouterai des notions issues des Sciences Sociales, de la clinique du travail et de sa psychodynamique.

Ce documentaire est réalisé en 2009, en trois épisodes : La Dépossession – L’Aliénation- La Destruction. Nous avons choisi le troisième volet :
La Destruction , pour penser et repenser l’organisation du travail. Les témoins du film, disent à leur insu, les conséquences sur leur corps des méthodes de management qui les poussent jusqu’au bout de leurs limites. Jamais maladies, accidents du travail, souffrances physiques et psychologiques n’ont atteint un tel niveau. En France les accidents du travail touchent près d’un million de personnes par an, un quart des hommes et un tiers des femmes souffrent de détresses psychiques qui sont liées à leur travail. La Santé est devenue un problème grave et ruineux. Chaque pays de l’Union y consacre 3 à 4% de son PIB.
C’est en suivant le quotidien des consultations de Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, pionnière dans la lutte contre la maltraitance au travail puisqu’elle a ouvert la première consultation hospitalière en 1997, intitulée « souffrance et travail », de l’hôpital de Nanterre, que nous nous interrogerons sur les pratiques de management qui abîment les salariés à force de dégrader leur travail. Aujourd’hui il existe 35 centres de cette nature et un site richement et gratuitement documenté, créé et tenu par Marie Pezé, pour continuer autrement et efficacement la lutte contre ces pratiques délétères sur la santé.
Souffrance et travail« Ne restez pas seul » est l’injonction donnée sur ce site internet, qui analyse l’actualité du travail et propose des guides pratiques pour les professionnels concernés par ce sujet et ils sont nombreux. Une alerte nous est donnée sur l’aggravation des pathologies psychiques dans son livre, paru en avril 2011,  » Travailler à armes égales », coécrit avec Nicolas Sandret, médecin-inspecteur du travail et Rachel Saada, avocate. Cet ouvrage nous livre des réponses sur la base des outils développés par le réseau de prise en charge de la souffrance au travail. Ainsi, les auteurs mettent à disposition des salariés qui veulent s’en sortir, des outils pour affronter le fléau. http://www.souffrance-et-travail.com/

Travailler à armes égalesComment en sommes-nous arrivés là?
Un petit retour en arrière s’avère utile pour reprendre le cours de l’histoire avec ses modèles managériaux qui marquent les enjeux de la Société via le travail.
Frederick Winslow Taylor (1856-1915), tourneur puis ingénieur américain, formalisera sa méthode dans un livre intitulé « The principles of Scientific Management » en 1911, méthode appelée aussi l’OST (Organisation Scientifique du Travai). Cette méthode repose sur une division du travail en tâches simples et répétitives individuellement optimisées et sur le paiement des ouvriers au rendement, mesuré au nombre de pièces et avec l’aide du chronométrage. Taylor rencontrera une grande efficacité dans la sidérurgie.Il convient toutefois de préciser que Taylor a permis aux ateliers d’être organisés pour une moindre fatigue de l’OS (l’ouvrier spécialisé), la juste journée de travail. Il rêvait de réconcilier l’ouvrier et le patron, de résoudre la conflictualité irréductible entre eux. « Les corps devaient être utiles, soumis, et productifs, assujettis à la machine et commandés par un pouvoir disciplinaire », comme nous le formule Michel Foucault dans « Surveiller et Punir ». Le crédo qui sous-tendait l’exploitation de la force de travail par des modes et des techniques de production établies rigoureusement (l’OST) était : « Travaille et tais- toi », Paul Ariès politologue.
Taylorisme et Fordisme
Henri Ford, 1863-1947, donnera son nom à sa méthode, le Fordisme qui est un mode de développement de l’entreprise, ou d’organisation du travail, qu’il a inventé, largement inspiré de l’OST. Le fordisme n’est qu’une composante du taylorisme et ne doit pas être confondu avec lui. Ford fut le premier à mettre en oeuvre le travail à la chaîne et nous en avons une belle démonstration dans le film « les temps modernes  » de Charlie Chaplin. La standardisation des produits pour faire de la grande série, en parcellisant le travail sera rendue nécessaire par la perte d’intérêt des ouvriers face aux tâches répétitives, avec des gains de productivité conséquents. Ford augmentera les salaires de ses ouvriers également pour les tenter d’acheter donc de consommer, (et sa Ford si possible). Il ouvre ainsi la voie à la consommation de masse et essaie de faire face à la concurrence des pays asiatiques.Quand on reprend le séquencement du travail autour des années 1920/1950, il n’y avait aucun rapport entre l’acte de fabriquer de l’opérateur et l’objet fabriqué. Le travail éclaté, émietté, parcellaire, était le résultat du travail à la chaîne, abrutissant et inintéressant.
Les Temps ModernesLa perte de qualification du travail ouvrier était la contre partie de l’augmentation du salaire et des gains de productivité. La seconde guerre mondiale constitue pourtant un moment essentiel dans l’évolution vers le paradigme fordisme. Les techniques fordistes appliquées aux Etats Unis comme solution à la crise économique de 1929, ne sont effectivement inscrites dans l’après-guerre en Europe qu’à travers notamment le plan Marshall, dans un contexte d’explosion de la consommation et de boom démographique.
Ces techniques ont mis au point un meilleur contrôle par la direction du travail sur les corps humains devenus objets de pouvoir. « Des corps à redresser pour les adapter à une norme qui est fixée », Michel Foucault.
Le nouveau crédo sera alors : « travail, tais-toi et consomme ! », Paul Ariès politologue.
Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et la production massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement comme une puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. Nous pouvons dire que la première révolution du travail est née avec le Taylorisme-Fordisme.
Surveiller et punirTaïichi Ohno, ingénieur chez Toyota, ouvrira la voie au Toyotisme. Cette organisation d’origine japonaise s’impose comme l’amélioration du taylorisme et du fordisme. Appliquée au Japon dans l’usine Toyota, elle se définit selon quelques grands principes.
Le principe du juste-à-temps ou flux tendu, l’auto-activation de la production en rendant les machines plus efficaces et les travailleurs plus qualifiés donc polyvalents.
Le principe des 5 zéros (panne, défaut, papier, délai, stock). Hervé Syriex sortira « le Zéro Mépris » qui fit date en 1989.
L’ automatisation. La machine est capable de s’arrêter dès qu’elle rencontre un problème, les ouvriers n’ont donc pas à surveiller constamment cette machine et peuvent travailler sur plusieurs machines.
Usine_desespoirLe Toyotisme, annonce la deuxième révolution managériale. Il permet aussi une plus grande implication des salariés, une possibilité de progresser,une qualification par la formation continue et l’actionnariat. Le savoir faire, l’intelligence, la créativité sont attendus et demandés à tous.
Le nouveau crédo sera : travaille, consomme, apporte tes idées, investis toi dans cette nouvelle aventure pourrait-on dire.
Bien des cadres supérieurs et des syndicats iront faire des stages au Japon et aux USA, pour importer ces méthodes en les réajustant à notre culture.


13_mai_68
Mai 1968 – un tournant vis à vis de l’Autorité, sa contestation. Ce fût la plus grande grève du siècle, tout s’arrêta durant trois semaines. Les étudiants lançaient en slogan, la phrase de Jean Yanne qui devint rapidement emblématique écrite sur les murs ou scandée : « il est interdit d’interdire ». D’autres slogans ont fleuri comme : « CRS=SS », « sous les pavés la plage », et « Jouissons sans entrave », pendant que les salariés revendiquaient de meilleures conditions de travail. L’avenir des entreprise est menacé. Cette remise en cause qui commence en 1968, va ouvrir l’aire de l’individuation du travail. Vous voulez votre liberté ? Vous l’aurez…
Interdit d'interdire
1973, une nouvelle stratégie se met en place, l’atomisation de la sociéte soit l’individualisme qui sera poussé à l’extrême dans les années 2000.On ne pense plus en terme de société ou de collectif, mais seulement à soi, à sa petite personne. Dans la pratique de nouvelles mesures seront difficiles à contrer par les syndicats comme les horaires variables, la polyvalence, la négociation dans des entretiens individuels,motivationnels, pour négocier ses objectifs réalisables.On va passer à l’exploitation de ce qui restait à toucher : la psychée, car il s’agira maintenant de mobiliser la force psychique ! Aller chercher la ressource humaine, l’exploiter à son tour. Du vécu du travail on passera à la subjectivité du travail.
Un nouveau métier est apparu : directeur des ressources humaines, DRH. Même si elle devient une ressource elle est à la traîne de la réthorique managériale qui change sa sémantique pour honorer la novlangue. « Il s’agit de diminuer le nombre de mots, et plus on fusionne les mots entre eux, plus on diminue le nombre de concepts avec lesquels les gens peuvent réfléchir en éliminant les finesses du langage. La mauvaise maîtrise de la langue rend ainsi les gens stupides et manipulables par des instruments de propagande massif tels que la télévision », référence : site Wikipédia.
Derive LangageIci la novlangue va servir les discours managériaux pour défendre l’idéologie du discours capitaliste. Dans un contexte de mondialisation, de guerre économique face aux nouveaux marchés, le client devient Roi, ciblé par les théories du marketing et de la publicité, via la novlangue, facilitée par les nouvelles technologies qui se développent.
En 1980, la troisième révolution managériale est en marche. Le management affectif, psychologique, « la totalisation de la personne » comme le précise Paul Ariès, politologue.
La psychée est investie de pouvoir et de domination, elle devient force utile si elle est à la fois énergie productive et énergie assujettie, nous le fera remarquer Vincent De Gaujelac, professeur de sociologie à Paris VII, fidèle à la pensée foucaldienne, qui est une critique des normes.
C’est la réhabilitation de l’entreprise, son réenchantement. La psychée est colonisée par les idéaux du discours de l’entreprise qui reste le dernier territoire à exploiter. On veut métamorphoser les salariés, les temps changent, il faut oublier le passé. Ce changement identitaire va permettre d’obtenir des hommes et des femmes une meilleure capacité d’adaptation, de réactivité, de produire une éthique dans l’entreprise en signant des chartes de loyauté. Promulgées en 1982, les lois Auroux modifient de manière importante le droit du travail en France. Parmi les principales innovations en matière sociale et d’amélioration des conditions de travail je relèverai la création d’un droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail. Plus tard, le patronnat a trouvé une astuce nous dira Danièle Linhart, en détournant ces lieux d’expression par la mise en place des cercles de qualité.Par la nouvelle organisation du travail, les salariés sont maintenant pris en main, sous leur emprise. Pour aller vers la qualité totale, on réfléchira dans les cercles de qualité, il faudra accompagner le changement, on fera avec des conditions de travail de plus en plus sophistiquées. Au coeur de la logique : réactivité, qualité, autonomie. L’individualisation du travail est bien en marche, la psychée devient un objet de pouvoir efficace.
La société s’est transformée lentement mais sûrement, le tertiaire domine à 60% les emplois de l’économie mondiale en 2012. Pour obtenir la métamorphose identitaire des salariés, il faudra jouer insidieusement et de façon manipulatoire avec des notions psychologiques comme l’idéal du moi, le contrat narcissique, l’identification. L’idée du rapport de force, de la domination doit être évacuée des esprits.
tertiarisation

Comment contraindre le travailleur à être rentable ?
Par des méthodes, des stratégies, des modes de management, des techniques pathogènes comme :
l’individualisation, mise en place fin des années 1970, est le socle du management ; il s’est accéléré aujourd’hui, donnant au salarié un sentiment de solitude, tuant le collectif, compliquant la vie syndicale. Avec l’individualisation des salaires et des objectifs, chacun négocie tout seul dans son coin avec son n+1, son responsable.
les entretiens individualisés de performance, un réel piège car les salariés n’ont pas les moyens d’y arriver. Comment tenir l’engagement du toujours plus ? Ils sont exhortés à réussir en se débrouillant. Rendre l’impossible possible en quelque sorte, donc ils tricheront, trouveront des stratégies individuelles et collectives de défense pour tenir le coup.
les évaluations à tout va, les salariés responsables de la qualité et de la quantité de ce qu’ils produisent, ne peuvent plus négocier alors que les équipes sont mal formées et les objectifs inatteignables.Ces modèles provoquent la concurrence, la délation et brisent ainsi la solidarité.

shadoksla précarité subjective, ce sont les pratiques qui visent à insécuriser le salarié en le soumettant à des changements perpétuels, les restructurations, une réorganisation permanente du travail. La précarisation subjective des salariés est un concept développé par Danièle Linhart, sociologue du travail, directrice de recherche au CNRS. Elle nous en parle ainsi :  » la précarisation subjective, a pour but de faire donner aux salariés toujours le meilleur d’eux mêmes. Le jeu des réformes et des réorganisations successives aboutit à un désapprentissage permanent et l’obligation constante de faire ses preuves pour démontrer son employabilité. Le changement est devenu une valeur en soi, qui a remplacé celle du progrès. »
L’entreprise privée et publique a repris le pouvoir pour agir sur le salarié, indépendamment de ce qu’il a dans la tête. Ainsi, elle le conformera, le formatera à être docile, réceptif aux injonctions, adaptable à tout prix. Il s’agira de le contraindre selon les critères de l’employeur. Ce relatif inconfort est voulu, il faut secouer le salarié français encore trop protégé par le code du travail, les CDI, et le statut de fonctionnaire pour beaucoup d’entre eux. Ainsi on attaque les métiers, l’expérience, les règles déontiques de métier définies par les travailleurs. Yves Clot, psychologue du travail au CNAM (Centre National des Arts et Métiers), directeur de recherche sur le travail et le développement, dans son livre : « le travail à coeur » pour en finir avec les risques psychosociaux, nous parle de ce paradoxe intenable car en face des dégâts engendrés, se multiplient dans l’urgence les fausses solutions (séminaire de gestion du stress) qui risquent de virer au « despotisme compassionnel « sans rien résoudre sur le fond. Le travail a coeurSi cela est rendu possible c’est aussi grâce à la crise, la guerre économique, le chômage de masse qui se profile, la peur de devenir SDF, de perdre son travail pour ne plus en trouver. Le malaise dans la civilisation s’exprime par l’explosion des pathologies que l’on abrège aujourd’hui sous les trois lettres : RPS.
Une cohorte des Risques Psycho Sociaux , en sont les symptômes les plus visibles, le dessus de l’iceberg. Mais le mal est plus profond, ce magnifique documentaire nous en donne la preuve.Que ce soit chez Carglass (spécialiste de la réparation et du remplacement de pare-brise) , ou chez Fenwick (les chariots de manutention), ou bien dans les Intermarchés, les méthodes ne changent pas, elles sont tristement les mêmes avec les mêmes conséquences : la souffrance au travail.

Qui construit cette idéologie destructrice du travail ?
« Mckinsey » établi en France (http://www.mckinsey.com/), depuis près d’un demi-siècle, conseille les directions générales de grandes entreprises françaises et internationales, ainsi que celles d’institutions publiques et d’organisations à but non lucratif. Le cabinet inscrit l’accompagnement de ses clients dans le long terme. Il les aide à élaborer les orientations stratégiques et à mettre en œuvre les changements qui permettent d’améliorer durablement leurs performances. A travers une centaine de bureaux situés dans 56 pays, McKinsey fonctionne comme une seule et même entreprise à l’échelle mondiale, offrant à ses clients les compétences de 9 000 consultants experts dans une large palette de secteurs et de fonctions. Le développement de ses collaborateurs s’opère en permanence par le compagnonnage au sein des équipes, par d’importants efforts de recherche et de développement, et par la promotion d’une culture de « l’excellence ». Voir leur site – mckinsey.com.
Des docteurs en psychologie, en neurophysiologie, en gestion apportent bien sûr leur contribution à cette exploitation de la psychée de plus en plus insidieuse, manipulatrice, vampirique, et cela , mine de rien.
Le harcèlement moral, « c’est l’arbre qui cache la forêt » nous dit la clinicienne Marie Pezé. Cette notion est maintenant un délit dans le Code pénal. Au pénal, on est avec une victime et un délinquant, et donc l’organisation du travail ne sera jamais poursuivie. Je n’écris jamais le mot harcèlement dans une expertise : la qualification revient aux juges. Parlons de la description du travail. Là, on tombe sur le premier drame. Le salarié dit : « je suis harcelé » parce qu’il ne sait pas comment parler de son travail. Pour l’aider, il faut revenir en arrière, lui demander d’expliquer avec force détails ce qu’il fait. Si vous saviez à quel point les gens se réaniment dès qu’ils parlent de cet engagement au travail, quand on leur pointe que c’est à partir du moment où on a changé la machine, l’organisation du travail, que les choses se sont défaites, qu’il n’y avait pas forcément un harceleur pervers. »
Le délitement des syndicats pourquoi ? Josiane Annerel a répondu à cette question en précisant la difficulté qui est la leur, puisque d’une part ils ne sont pas formés à l’écoute de la souffrance, ni à prendre les rôles de travailleurs sociaux, des coachs, voire de psychologues, et par ailleurs confrontés eux aussi aux mêmes problèmes qui pourraient bien entendu les fragiliser, dans ce rapport subjectif aux salariés. D’autant qu’il n’est pas sûr que les salariés aient envie de se confier, l’entreprise n’étant pas un lieu de thérapie ni de développement personnel. Les syndicalistes, habitués à la lutte dure et frontale avec les patrons, savent mieux négocier les questions matérielles des conditions de travail. Peut-être aussi ont-ils peur de perdre une partie de leur pouvoir en se risquant sur un terrain plus délicat. Il n’empêche qu’en se coupant de la souffrance subjective des salariés, ils s’éloignent de ce qui est au coeur de ce qui se passe au niveau du conflit d’aujourd’hui, et ils en sont de plus en plus conscients.
sarko et les syndicats« La deuxième difficulté dans laquelle ils se trouvent, c’est qu’ ils voient bien qu’il faut apporter son aide, par une réponse et une écoute, au plus près de la souffrance des gens, dans quelque chose qui est dans le personnel donc dans le psychologique. Ces problèmes qui ne sont pourtant pas que médicaux et/ou psychologiques, sont liés à l’organisation du travail, il serait aussi nécessaire de les dé-psychologiser car ils sont liés étroitement à la politique de l’entreprise. Les syndicalistes sont donc, dans une espèce de contradiction d’avoir à apporter une réponse vécue comme étant centrée sur la personne par rapport à un problème dont il faut absolument remonter aux causes qui sont selon nos hypothèses liées à l’économique, aux modes d’organisation et aux outils de gestion.
« Il y a une vraie difficulté là, qui est par exemple comment apporter une réponse psychologique en dépsychologisant les problèmes d’abord rencontrés au niveau psychologique? ». Intervention de Vincent de Gaulejac à écouter sur youtube : « Pour sortir du mal-être au travail ».

Comment définir le travail au regard de l’approche psychodynamique ?
Il est essentiel et nécessaire au fonctionnement psychique de l’individu,il n’est surtout pas contingent. Le salariat renvoie à la collectivité, au fondement de ce qui touche et tisse les relations professionnelles d’échanges. D’autres formes alternatives existent de rémunérations, sans compter le travail bénévole. Que l’on soit salarié, précaire, intérimaire ou bénévole, il s’agit pour nous du travail, soit une activité déployée par des femmes et des hommes pour faire face à ce qui n’a pas été prévue par l’organisation du travail prescrite ou les prescriptions.Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, dirige depuis 1990 le laboratoire de psychologie du travail et de l’action au CNAM à Paris. Pionnier du développement de la psychodynamique du travail voilà ce qu’il nous dit de la notion du travail : »La plupart des tâches sont encadrées par des réglementations et des modes opératoires qu’on regroupe sous le terme d’organisation du travail prescrit. Cette organisation peut être extrêmement précise et tatillonne. Mais, même dans ces cas-là, on peut montrer que jamais ceux qui travaillent ne respectent rigoureusement l’organisation prescrite, y compris dans les activités répétitives sous contrainte de temps. En effet, quelle que soit l’ingéniosité de cette organisation, elle ne prévoit jamais les choses telles qu’elles vont se produire.Il y a toujours des pannes, des imprévus, des incidents, des accidents, ce qui conduit à envisager la « réalité » du travail comme un ensemble de dysfonctionnements qui vient surprendre toute organisation, aussi sophistiquée soit-elle. »

la panneCe paradoxe, nous fait penser que c’est ce qu’il faut ajouter aux prescriptions pour que ça marche. Cette valeur ajoutée à la prescription constitue l’essence même du travail, entre la tâche et l’activité. La coopération est là pour gérer cet écart selon des normes communes de métier qui s’échangent, s’éprouvent, se partagent et se discutent avant de devenir des règles déontiques de métier. Depuis vingt ans on dénigre le travail qui devrait disparaître au profit des loisirs et de l’action. Ces thèses sont paralogiques et sont des tentatives de dévalorisation du travail réel. Ce déni du travail, c’est le déni de cette part d’humanité que chacun apporte par son activité. Le travail n’est pas une valeur en voie de disparition, au contraire il persiste à occuper une place centrale pour l’individu en bonne santé, et pour maintenir sa santé psychique.
Que faire pour en sortir et comment ?
Après la lecture de ces outils d’analyse nous pouvons réfléchir en termes d’engagement politique et idéologique pour entreprendre une bataille, afin de recréer du collectif pour dire non à ce désastre organisationnel, orchestré par le capitalisme financier qui impose sa loi sur le travail donc sur les individus que nous sommes. On voit l’impuissance des politiques à agir à ce niveau, pourtant il ne faut pas baisser les bras. Si le règne du circuit financier est un déterminant essentiel, il n’est qu’un déterminant comme les autres. Comme le dit Edgar Morin, on est dans le multi-factoriel, dans la complexité, le multi-déterminisme. Il s’agit par conséquent de se battre à plusieurs niveaux à la fois :
– politiquement, économiquement et idéologiquement chacun à son propre niveau , tout en restant à l’écoute du terrain, au plus près du malaise, pour un combat prioritaire à mener.
Manifeste pour sortir du mal-êtreDes manifestes existent, les solutions ne manquent pas pour agir, des initiatives aboutissent. Par exemple, l’Appel des Appels est un collectif national qui regroupent plus de 80 courants comme : sauvons l’hôpital, l’université, la santé en bataillant frontalement, contre ces organisations qui détruisent volontairement et systématiquement tout ce qui tisse du lien au travail. Un ouvrage collectif « l’appel des appels » pour une insurrection des consciences est en vente depuis novembre 2009.
Notre initiative de ce jour, qui nous a réunit autour de ce long débat riche d’échanges en est une autre. Continuons ainsi… L’action est nécessaire partout et sous des formes à inventer pour lutter contre la servitude volontaire.


Chantal Cazzadori
psychanalyste dans la cité

Vers le blog de Paul Ariès: http://paularies.canalblog.com/
Cliquez-ici pour voir le commentaire de l’accueil de ce débat sur le site des droits de l’homme de Rue Le Crotoy .


Lire sur le site des Droits de l’Homme l’accueil réservé à Josiane Annerel et Chantal Cazzadori suite à leur intervention au cinéma de Quend Plage (Cliquez-ici)

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