Pourquoi un tel traumatisme collectif après les événements parisiens ? Quelles répercussions et quelles réactions possibles ?
Psychanalyste installé à Loisy, Claude Breuillot tente d’y répondre.
Pourquoi une telle réaction collective, voire mondiale, après les événements du 7 janvier ?
Certains faits de notre existence, et de ceux qui nous ont précédés, marquent à jamais. La mort d’un grand-père pendant la guerre de 1914-1918, la séparation violente de nos parents, l’abandon dans un orphelinat… Souvent à notre insu, mais parfois dans l’urgence d’une réponse, nous sommes contraints, dans l’angoisse, voire dans la peur, d’agir. Suite à l’impensable des événements de Charlie Hebdo , nous ne pouvons ne pas entendre l’humanité qui nous rassemble, la questionner pour nous et pour nos proches. Ce désir intime fait corps quand notre corps social est touché.
Pourquoi l’attentat a-t-il beaucoup plus ému que l’assassinat du guide de haute montagne Hervé Gourdel ou d’autres faits divers ?
Certains pouvaient certainement s’identifier à Hervé Gourdel, mais les événements d’aujourd’hui, s’ils font traumatisme, ne viennent-ils pas faire écho à de nombreuses représentations conscientes et inconscientes de notre histoire contemporaine, mais également aux fondements de ce qui fait société pour chacun d’entre nous ? N’est-ce pas, d’une part, la grande proximité imaginaire avec ces hommes et ces femmes présents régulièrement dans les médias, d’autre part le lieu choisi, Paris, la capitale, une représentation inconsciente du cœur de nos administrations ? Mais également le moment choisi, la « naissance » de la nouvelle année ?
Quelles peuvent être les répercussions à la suite d’un tel choc ?
Le traumatisme agit à notre insu sur notre mémoire. Nous souffrons des réminiscences du passé, des plaies et des atteintes à notre intégrité physique ou mentale, comme avec les affres de la Seconde Guerre mondiale, la déportation…
Comment réagir face à ça ?
Peut-être devons-nous redonner du sens à l’expression « devoir de mémoire » pour inventer nos formes de résistance. Nous serions alors invités à trouver les mots appropriés, en fonction de l’âge de nos enfants, à leur transmettre les valeurs qui feront d’eux les citoyens de demain. Assassiner ces hommes et ces femmes journalistes ou ces policiers exprime donc l’attention mortifère de s’attaquer aux valeurs de ce qui fait société, énoncé au sein de l’article XI de la Déclaration des droits de l’Homme : « Le terrorisme vient ébranler le droit fondamental à la liberté d’expression pour le respect du vivre ensemble. » Tuer des policiers revient à s’attaquer à l’État dans ses fonctions régaliennes, garant de la sécurité intérieure de notre pays, mais symboliquement de notre sécurité intérieure.
À plus long terme, peut-on s’attendre à davantage de repli sur soi ou à un vrai rassemblement ?
Certains s’enfermeront dans l’islamophobie ou le rejet de l’autre. Souvent, ceux-là même, perçoivent comme étranger leur voisin de palier ou les habitants du village voisin. La peur viendra créer alors l’exclusion, la vindicte, les tensions communautaristes. Tout comme l’on n’invite pas un enfant à se faire justice seul dans la cour de l’école, les valeurs de la République doivent être sauvegardées par le droit et la collectivité. Au-delà de la précipitation de la haine toute aussi toxique que le venin du terrorisme, rappelons-nous que les mots ont un corps, ils sont vivants et nous les partageons avec un grand nombre de nos contemporains.
Claude Breuillot, psychanalyste
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