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La paranoïa

Chantal Cazzadori Psychanalyste la paranoïa
LA PARANOIA OU L’ECHEC DE LA METAPHORE PATERNELLE

Du Grec « Folie », ce terme de paranoïa est marqué par l’idée de persécution et par la fausseté du jugement (esprit de travers). Du point de vue psychiatrique, quatre traits sont distingués :
– l’esprit de méfiance,
– l’inflation du moi, (orgueil et vanité)
– l’erreur de jugement (majoration dans l’interprétation des signes)
– une agressivité revendicatrice à l’égard des autres
Ce qui produit de l’hyper-rigidité et de l’inadaptabilité chez le sujet.

Le délire systématisé varie d’un thème à l’autre :
– la jalousie
– l’érotomanie
– la persécution
– la mégalomanie

Ces thèmes obéissent à une structure commune : la défense contre l’homosexualité et la fonction de la projection comme défense principale. Hypothèse développée par Freud à partir d’un ouvrage « les mémoires d’un névropathe », livre écrit par D.P. Schreber, président de la chambre de la cour d’appel de Dresde, c’est l’histoire de son délire entre I893 et I900. Mis sur cette piste, Freud va lire l’ouvrage pour chercher à interpréter les mécanismes spécifiques des psychoses sous le terme de « paranoïa », autour des 4 grands thèmes décrits ci-dessus.
Le sujet refuserait son homosexualité par le déni qui pourrait se formuler ainsi :

« Moi, un homme, je l’aime, lui un homme », incapable de reconnaître ses pulsions homosexuelles, le paranoïaque dénie, abolit à l’intérieur de lui la représentation de ses pulsions après en avoir inversé le sens ». Le dictionnaire Larousse de Psychanalyse.

Sa projection sur l’extérieur donne naissance au délire de persécution. La haine d’être persécuté va se justifier pour méconnaître son amour homosexuel. Un mode de défense violent qui donnera selon les formules habituelles l’escalade suivante :

« J’aime, lui, un homme » (désir inconscient)
« Je ne l’aime pas, je le hais » (déni du désir)
« Il me hait, il me persécute » (projection)
« Je le hais parce qu’il me persécute » (sentiments de persécution)

Son mode de relation se situe donc par le mécanisme de projection, le sujet construit son monde à partir de ses convictions. Pour s’adapter à la réalité, il doit se forger un « faux self », un masque qui tiendra lieu de moi identitaire. Sa vérité devient la Vérité, loi personnelle qu’il promeut d’un statut convainquant, emportant ainsi dans son sillon des adeptes d’utopie, de quête religieuse, d’absolu. Son petit délire peut paraître crédible, seule l’entrée dans une bouffée délirante le fera consulter. L’entreprise joue le rôle d’une prothèse, de cadre qui permet de tenir debout en le protégeant de son délire.

Lacan arrivera à une autre hypothèse que celle de l’homosexualité :
« Ce qui persécute un fils, c’est lorsque son père ne se reconnaît pas lui-même comme fils de son propre père, provoquant ainsi une perturbation de l’ordre des générations. »
En I955-56, dans son séminaire sur les psychoses, Lacan reprendra cette question pour l’éclairer. Il reviendra sur la lecture freudienne du texte de Schreber, et introduira une donnée essentielle pour comprendre ce que Freud appelle « le complexe paternel » chez le névrosé qui le distingue de ce que l’on rencontre chez le psychotique.
Il convient de distinguer pour Lacan, le père réel du père symbolique. Il y aurait défaut de la fonction symbolique du père, ce que Lacan désigne sous le terme « du Nom du Père ». Le père réel non reconnu par une mère qui ne tient pas compte de sa parole, de son autorité, c’est-à-dire de la place qui lui est réservée dans sa fonction symbolique dans la promotion de la loi, position phallique à tenir par le père dans l’énoncé de ses interdictions incestueuses pour le fils et la mère. L’enfant qui est tenu par la mère d’être le phallus qui lui manque serait ainsi dégagé de la menace de castration puisque le père disqualifié dans le désir de la mère, sa femme ne fait pas le poids. Echec donc de son passage oedipien pour l’enfant qui va prendre une position transsexuelle, de féminisation du sujet subordonné non au désir d’un autre homme, mais à la relation que la mère entretient avec le phallus. La menace de castration faisant défaut, le paranoïaque va se féminiser, « faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère, il lui reste la solution d’être la femme qui manque aux hommes » lacan dans les Ecrits, ou encore la femme de Dieu comme le dit Schreber.
Il y a forclusion du « Nom du Père » par conséquent, puisque le père n’a pas pu devenir pour son enfant un modèle d’identification. Le délire viendra apporter une solution, constituant à la place de la métaphore paternelle défaillante, une métaphore délirante, destinée à donner un sens à ce qui pour lui en est totalement dépourvu.
L’accès à la symbolisation ne pouvant fonctionner par la place de l’élément tiers dans la triangulation père/mère/fils, l’imaginaire va l’emporter dans la relation à l’autre. Dans la clinique, le paranoïaque considère l’autre comme persécutant, car le « Moi » marqué d’une relative agressivité charge l’autre de ce qui lui arrive. Pas pacifié par le rapport au grand Autre, c’est une mise à mort de l’autre, son alter ego qu’il s’agit sous la formule : « lui ou moi », pas d’issue car pas de distance possible, le « lui et moi » n’existe pas. La tendance à l’agression sera différente de l’intention agressive du névrosé (craintes fantasmatiques, colère, tristesse active ou fatigue psycho sthénique).
Dans les psychose paranoïdes et paranoïaques, la tendance à l’agression s’avère fondamentale La métaphore du « Nom du Père » est bien inopérante.

PENSER SA PROPRE ORIGINE :

Comme le relève Piera Aulagnier :
« trois traits caractérisent le paranoïaque :
– la nécessité de ne laisser subsister aucun doute chez l’interlocuteur,
– la place nodale de la haine comme concept organisateur de la théorie sur le monde,
– la possibilité (contrairement au schizophrène qui n’en imagine qu’un seul) de se représenter les deux protagonistes du couple qui lui ont donné naissance.
C’est au sujet de cette origine que se forgent les idées typiques qui prédisposeront à la paranoïa, idées fournies par le parent souvent en réponse à des questions posées par l’enfant. Par exemple, l’affirmation que la mère a eu l’enfant par devoir et sacrifice tandis que le désir du père, qu’il soit qualifié d’alcoolique, psychopathe ou pervers, est toujours systématisé comme mauvais et dangereux. L’enfant va donc se construire une théorie sur sa naissance avec des identités notionnelles qui sont déjà en elles-mêmes un début de paranoïa. Ainsi, « état de couple » sera équivalent à « état de haine » tandis que « désir » et « conflit » seront synonymes, cependant que le sujet se vivra lui-même comme un espace déchiré entre deux désirs contradictoires et ne concevra l’existence que maintenue par le fait d’avoir quelque chose à haïr et d’être haï par quelqu’un. Le plaisir devient indissociable de l’affrontement. » Que sais-je ? Sur la paranoïa.

Chantal Cazzadori, psychanalyste en libéral à Amiens et à Paris,

Bibliographie :

Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique Larousse

Le président Schreber, S. Freud, eds Puf 2004

Les mémoires d’un névropathe, Daniel Paul Schreber.

La paranoïa, Sophie de Mijolla-Mellor, Que sais-je ? Puf