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Quid de l’hystérie aujourd’hui?

Analyse Freudienne Cycle de conférence 2016-2017

Discours ou/et structure ?

Tout d’abord essayons une définition de l’hystérie, en effet de quoi s’agit-il ?

En 1878 Ernest-Charles Lasègue, médecin des hôpitaux de Paris, marqua la psychiatrie en y apportant ses contributions, en s’intéressant aux troubles psychosomatiques. Ainsi il dira :

« Une définition n’a jamais été donnée et ne le sera jamais, car les symptômes ne sont ni constants, ni assez conformes, ni assez égaux en durée et en intensité pour qu’un type descriptif même puisse les comprendre tous. » (1)

Un siècle après, l’imprécision demeure. La curiosité de la chose, les recherches sur l’objet, ainsi que des discussions passionnées sur la question de l’hystérie et de ses désordres psychiques sont source d’inquiétude autant que d’irritation dans la sphère de la médecine anatomo-clinique. Pourquoi ? Car insaisissable, inclassable, l’hystérie, défi aux lois de la médecine, puisqu’elle met en cause plus qu’une autre maladie, la subjectivité de celui qui l’aborde.
Pourquoi, les limites de l’affection sont si difficiles à cerner ?
L’hystérique sait librement bien jouer à la fois de façon spectaculaire et discrète avec les phénomènes de transfert et de contre-transfert. Quant aux modalités expressives de celles-ci, elles tiennent autant du culturel que de l’individuel, c’est-à-dire que sa forme d’expression, qui est avant tout un langage varie avec l’époque.
Le professeur Jean Martin Charcot, neurologue, était confronté à la « grande hystérie » dans ses présentations de malades à la Salpêtrière. Aujourd’hui si elle n’a pas disparu, elle se fait plus silencieuse. Le travail de Charcot restitua toute sa dignité au sujet de l’hystérie en annonçant que la malade n’est pas une simulatrice. Il y répond de toute son autorité, de l’authenticité et de l’objectivité des phénomènes hystériques et découvre, à la surprise générale, qu’elle n’est pas le privilège des femmes. Ses travaux sur l’hypnose et l’hystérie, ont inspiré à la fois Pierre Janet et Sigmund Freud, qui a été brièvement son élève et l’un de ses premiers traducteurs en Allemand. Grâce à cette rencontre Freud passera de la neurologie à la psychopathologie.

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
Les manifestations de l’hystérie : un langage

L’hystérie est une névrose à manifestations polymorphes dont l’originalité réside en ce que les conflits psychiques inconscients s’y expriment symboliquement en des symptômes corporels variés. Le CORPS, sera le terrain de prédilection de sa souffrance psychique. En effet, l’hystérie veut dire quelque chose et ne le peut pas, d’où ses manifestations sous forme de paralysies, contractures, grossesses nerveuses, toux, cécité etc..
Le symptôme somatique c’est l’incarnation du fantasme, soit un compromis comme solution pour empêcher l’accès à la conscience du conflit refoulé. Cette opération inconsciente permet au sujet névrosé une réalisation substitutive et déguisée du désir interdit. A quoi sert cette substitution sinon à éviter l’épreuve de réalité, puisque le symptôme corporel va se substituer à une représentation (image, idée, souvenir) lorsque le refoulement ne peut plus être contenu. De ce fait, des événements externes ou internes réactivés vont tenter de réapparaître au niveau conscient. Le symptôme corporel indiquera la conversion hystérique qui diminuera ainsi la tension anxieuse, soit l’angoisse que provoquent les conflits internes. Dans cette conversion hystérique un bénéfice primaire immédiat, va se manifester et réussir au sujet à se protéger de son angoisse de façon efficace. Contre quoi se défend-il en fait ? Sans doute contre ses intentionnalité inconscientes, celui des interdits et de leur transgression. Son langage se manifestera bien par le langage du corps, que l’on peut déchiffrer à la manière de l’interprétation du rêve, puisque les troubles corporels s’y organisent dans leur forme matérielle, en fonction des messages liés aux syntaxes signifiantes de l’inconscient pour faire entendre quelque chose de son existence barrée, figée, empêchée.
C’est un message que le symptôme hystérique adresse dans sa forme inhabituelle mais si éloquente dans son contenu; ce message à qui serait-il donc adressé ? En effet, à quel interlocuteur va s’adresser l’hystérique dans son appel à l’autre, sachant que l’autre fonction du symptôme est de structurer la relation à autrui ? De là, les bénéfices secondaires qui en découlent vont conditionner largement l’évolution de l’affection. Par cet appel à l’Autre, qu’il soit parent, médecin, ami, ou corps social, elle va essayer de secouer leur indifférence pour susciter une réponse. Décidée à se faire entendre, elle modèlera sa demande et son expressivité sur le désir d’autrui selon le contexte culturel, soit face aux stéréotypes et aux concepts de l’époque, c’est pourquoi, la sémiologie de l’hystérique fluctue et reste avant tout un langage.

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
Comment entendre les conflits psychiques inconscients exprimés symboliquement à partir des symptômes corporels variés ?

Il y a dans son discours un trou. Lucien Israël dans « la jouissance de l’hystérique », titre de son séminaire de 1974, développera cette question : « Il y a dans son discours un trou analogue à toutes les coupures que nous allons rencontrer à l’oeuvre dans la vie, dans les comportements et dans les tentatives d’expression hystériques. C’est d’ailleurs par ce trou dans le discours que l’hystérique a pris toute son importance pour l’analyse. C’est en tentant de mettre au jour ce que les hystériques voulaient dire que Freud a été amené à produire un autre discours, le discours de l’hystérique ».(2)
Ce trou dans le discours ne devrait pas en fait effrayer le médecin, et pourtant, ce trou a été comblé par le discours de la psychiatrie scientifique, exacte, précise dont on nous rabat les oreilles. Autrement dit parler à la place de l’autre, savoir pour lui, y mettre un jargon qui va recouvrir sa souffrance, quand ce n’est pas une interprétation qui va tout expliquer, pour enfin lui annoncer doctement : « Vous faites une dépression, vous êtes anxieux, stressé etc », N’est-ce pas une bonne manière de le faire taire ?
Oui, la déception chez l’hystérique qui se manifeste par la petite tristesse, la mauvaise humeur, le coup de cafard prémenstruel sont à entendre autrement, non pas à partir du corps mais à partir de sa parole subjective, de son énonciation, son dire vrai qui en fait manifeste son insatisfaction.
Pour celui qui ne sait pas « entendre » les termes manquants, comme déjà chargés de sens au niveau le plus fin de l’objet ou de l’explication, passera à côté de la cause de la souffrance du sujet qui n’a que son corps pour dire sa faille. Le manque en psychanalyse n’est pas un corrélat du corps, c’est un corrélat du discours. Rappelons qu’il y a une faille entre corps et parole. La difficulté à parler surgit surtout quand il s’agit de mettre en paroles ce qu’il faudrait saisir dans les moments où la plainte qui concerne telle partie du corps serait à déchiffrer dans le discours. Le corps parle le langage de ce qui est justement impossible à parler , maintenant ainsi la béance du trou, où quelque chose manque qui serait à entendre et à saisir autour d’un questionnement sur l’amour, le désir, le sexe et la mort.

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
La théorie du trauma, selon Freud :

Freud s’est attaché à suivre, pas à pas une démarche qui a été la première afin de tenter de mettre en paroles ce qui se manifestait sûrement au niveau du corps. L’inventeur de la psychanalyse, a développé la théorie du traumatisme sexuel, et « l’on sait aujourd’hui qu’il venait de tonton, de papa, des petits mâles de la famille qui auraient séduit la petite fille » comme le précise Lucien Israël dans son ouvrage. Cette théorie n’a jamais été tout à fait abandonnée. Elle sera complétée par la théorie du fantasme qui viendra tel un bouchon dans le récit, obturer quelque chose. « Si nous dépassons les modèles de la psychologie du conscient, le traumatisme sexuel était décrit comme la scène marquée du sceau du mâle qu’il s’agissait d’enfouir dans une poche nommée inconscient par le mécanisme de refoulement. En fait, ce n’est jamais cela qui est traumatisant, ce n’est pas la vue, ni même le contact de telle ou telle partie du corps de l’autre, ce qui est traumatisant,c’est de percevoir chez cet autre une excitation joyeuse sans pouvoir y participer. Ce qui est traumatisant, c’est justement que rien ne soit ressenti consciemment lors d’une situation qui justifierait une excitation sexuelle. Et c’est bien là, la définition de l’hystérie par Freud. Rappelons-nous que ce qui est refoulé, est marqué par le retour du refoulé sous forme de symptômes. » L. Israël (3)

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
Le donner à voir, la coupure, une spécificité hystérique :

Ce qu’elle va donner à voir c’est ce qui se passe au niveau du corps, c’est donc une action sur le corps qui est visée, comme un ordre donné à l’autre, d’ailleurs, plus que ce donner à voir, il s’agit d’une demande de la regarder qu’elle fera exister. Durant la crise hystérique, les spectateurs sont là, bien présents car ils ont une fonction, celle de voir, via la jouissance scopique.
Concernant la coupure, il faut maintenant nous référer au stade du miroir, car son abord, va poser originairement la question de celle-ci. La coupure apparaît quand l’infans (l’enfant qui ne parle pas encore), entre 9 et 18 mois va découvrir son image dans le miroir. Le sujet tentera de se saisir dans cette image et de fusionner avec elle. Ce ne sera pas possible, puisqu’ il y a la séparation par la glace, le miroir proprement dit. Cette impossibilité de fondre le corps et l’image, cette situation en porte-à-faux, cette coupure entre le corps et son image au miroir est une variante de la coupure entre le corps et la parole. L’image dont il est question dans l’image spéculaire, image au miroir, vient à la place d’un certain type de parole, très exactement à la place de la parole circulante, qui circule comme une marchandise. Il ne s’agit pas, dans cette parole-là, de communication où l’on pourrait entendre une mise en commun et un partage. Comme la photographie se distribue, une certaine parole se distribue elle-aussi, parole ni incarnée, ni créatrice, elle peut être mise dans toutes les oreilles. Or, nous savons bien qu’il y a dans la parole autre chose que sa distribution.
Cette coupure entre corps et image, entre corps et parole, c’est celle que l’hystérique va nous démontrer d’un bout à l’autre. Comment le sujet peut-il se dégager de l’usage dévoyé de la langue pour donner un sens à son symptôme ? Combien de temps le sujet a-t-il chercher à dire sa vérité pour enfin être entendu, sans que son interlocuteur comme son thérapeute y aillent de leur propre fantasme et interprètent son énonciation comme un quelconque énoncé ? Cette façon de parler pour l’autre et de savoir pour lui tue la dimension créatrice d’un dire authentique, issu d’une parole singulière. Rapter la dimension subjective de l’autre souffrant est une posture propre au maitre tout puissant. Que voulait donc faire entendre le sujet avant de se couper de lui même ? En véhiculant la douleur de ce non-dit, inclus dans son histoire, cela pourrait bien évidemment se solder par une coupure prise dans le réel de sa chair cette fois, c’est-à-dire, au niveau de la peau, en faisant intervenir le chirurgien spécialiste de la coupure.
Dans la crise hystérique avec le cortège de symptômes somatiques liés aux conceptions de l’époque, appelée aujourd’hui crise épileptique, voire burn out, on continue à méconnaître sa dimension sociogène. En neuropsychiatrie on décrit les symptômes de façon découpée. On les trouvera sous les termes de symptômes sensoriels, moteurs qui n’ont aucun rapport avec la distribution nerveuse. Pour se donner une meilleure image, l’hystérique passera par l’amputation chirurgicale qui répondra le mieux à son symptôme, du moins pour quelque temps. « Il s’agit d’un découpage selon l’image du corps ou plutôt un corps imaginaire coupé au couteau, là ou se construisent les maladies dites « iatrogènes », dans l’exploration d’un champ de peau. La maladie dite iatrogène engendre les médecins, elle crée l’organe et le médecin. En effet c’est grâce à cette maladie iatrogène, c’est-à-dire qui engendre les médecins, que ceux-ci peuvent continuer à pulluler comme ils le font, à reproduire leur ignorance et à survivre parce qu’il y a des malades qui les fabriquent ! » (4)

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C’est par le voir que passe le désir !
Que ce soit le symptôme hystérique, le découpage, le maquillage, les bijoux, le corps fétichisé, il s’agit de cacher ce qu’il y a derrière la beauté. C’est par le « voir », sur le corps que le spectateur se met à désirer le bel objet. L’œil désirant est bien sûr convoqué dans cette affaire. Parler ne produit pas le même effet que « voir », le passage au visible, au voir ou par le voir serait une forme de médiation entre la pulsion et le discours, entre la pulsion et le dire. Remarquons combien la Bible tire sa puissance de l’interdit de voir, et de l’interdit de la représentation. Nous disions que si le voir peut servir de médiation entre la pulsion et le discours, il se fait le plus souvent le mur devant lequel s’arrête la pulsion, dans lequel elle se fige.
Dans les rêves, quand le mur apparaît que faut-il franchir pour passer à « l’entendre » ? L’on sait combien ce franchissement est difficile. Bien des associations de pensées qui formeront la chaine signifiante ouvriront l’inconscient au désir de voir, comprendre et parfois conclure pour en finir avec ce désir interdit qui vient de l’Autre.

Que cache donc le symptôme hystérique ? Ce qu’il y a derrière la peau, ce que camoufle toute la représentation, toute la mise en scène hystérique c’est le cadavre. Lucien Israël le formule ainsi :

« Je veux bien livrer une partie de mon corps pour éviter cette horreur maximale qu’est le cadavre . »

A travers cette approche psychanalytique de la névrose hystérique largement inspirée par Lucien Israël, via Freud et Lacan, nous avons laissé de côté la conception psychiatrique qui ne fait pas le même usage de la notion de Sujet, par conséquent, est-ce que la psychopathologie concerne la psychanalyse ? Il nous faut d’abord passer par le concept de sujet souvent confus et mis à toutes les sauces…

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Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
De quel sujet parlons-nous en psychanalyse, et comment le repérer ?
Ce qui nous intéresse en psychanalyse c’est le sujet en tant que sujet de l’inconscient, étant lui-même une structure. Lacan a introduit avec ce terme « sujet de l’inconscient » une rupture avec d’autres sujets, philosophiques et religieux qui ne recouvrent pas une structure. Il s’agit toujours de langage, de parole, de discours en psychanalyse d’où la formule bien connue : « l’inconscient est structuré comme un langage ». Tout le travail de Freud et de Lacan nous le développe en insistant sur la dimension de la structure ou des structures.
« Je parle avec mon corps, et sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je n’en sais. C’est là que j’arrive au sens du mot sujet dans le discours analytique. Ce qui parle sans le savoir me fait, « Je », sujet du verbe mais ça ne suffit pas à le faire être ». Lacan Séminaire XI p. 24

Pendant que la Science ou le pseudo-scientifique cherchent des causes autres que psychiques à la souffrance, la folie ou l’angoisse, les querelles se poursuivent avec les neurosciences qui voudraient pouvoir tout expliquer. Elles continuent leur défi en prétendant trouver la pilule du bonheur pour enfin mettre en harmonie l’Homme et son alter ego, sa moitié, son semblable..
Nous sommes seuls pour affirmer les théories psychanalytiques et leurs apports qui défendent l’altérité de chacun, face aux religions, philosophies et autres domaines, il en est de notre responsabilité de transmettre nos avancées. Freud avec sa « métapsychologie » s’est opposé à l’âme, et à la conscience philosophique de la psyché. Lacan a poursuivi cette voie en évacuant définitivement tout sujet philosophique de la psychanalyse, en le « désontologisant », il a ainsi pu dégager le « sujet de l’inconscient ».
Dans son histoire, la grande, le sujet est d’abord celui de la Société, puis de la Famille, revu par Lacan qui présentera dans le stade du miroir, la naissance du moi. Puis avec les découvertes de la linguistique le langage deviendra le lieu propre du sujet de l’inconscient.
En quoi Lacan de distingue-t-il de l’anthropologie ? La critique fondamentale que Lacan adresse à Lévi Strauss est autour du mythe qui symbolise les rapports humains sans avoir recours au langage de l’inconscient que nous appelons métaphore et métonymie. Dans Radiophonie (Silicet 1970) Lacan va se différencier de Lévi Strauss à partir du langage comme instance de la lettre dans l’inconscient. Dans le mythe Levi Strauss construit du symbolique en expliquant et en logeant les gens à une certaine place. L’ordre des tentes, étant ce que L. Strauss avait construit de la symbolique de ce qui, dans chaque société ancestrale, se représentait par la place dans le village, des tentes de chacun.
« Lévis Strauss n’opère ni de métaphore, ni même d’aucune métonymie. Il ne condense pas, il explique. Il ne déplace pas il loge. Ce que dit Lacan du mythe est que cela réduit le langage, c’est du symbolique qui n’a pas recours au langage. » Robert Levy (son séminaire).
Il lâchera également l’anthropologue sur la question de l’autre qui n’est pas l’individu précisément mais un autre issu de l’expérience du stade du miroir et non pas de l’autre au sens social du terme. Si chacun de nous passons d’abord par le stade du miroir pour accéder à la fonction du Je, qui ordonne la règle de partage entre l’imaginaire et le symbolique, nous nous constituons par l’instance du moi au point de jonction de la nature et de la culture, bien avant notre détermination sociale. C’est toute la différence entre l’anthropologie et la psychanalyse, la détermination du sujet ne se fait pas au même endroit. De même, contrairement à ce que soutenait Dolto, il n’y a pas de préexistence d’un sujet. Le sujet se constitue d’abord du désir de l’Autre, donc il ne préexiste pas à lui-même. Le sujet on ne lui parle pas, ça parle de lui.(5) C’est dans cet espace imaginaire institué par la vision en miroir « c’est dans l’autre que le sujet s’identifie et même s’éprouve tout d’abord » (6), « comme une sorte de précipité du moi à l’autre ». Le regard de la mère aura toute son importance pour le faire consister. Il faut qu’il y ait dans son regard maternel une place pour l’enfant. Dans cette pure fascination à l’égard de l’image, l’enfant fait l’épreuve de la forme contournée d’un rapport à soi qui passe par un rapport à l’autre. (7)

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
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Que deviennent les notions de structures cliniques aujourd’hui ?

Les conceptions psychanalytiques se posent en terme de structures cliniques appelées névrose, psychose et perversion qui sont aujourd’hui gravement remises en question. Pour parler de pathologie à présent, on se réfère à des items en renforçant la posture scientifique. Ainsi on classe, on évalue, on nomme une souffrance au lieu de représenter le sujet souffrant. Via les différents DSM nous assistons à la mise en place de nouvelles appellations cliniques pour s’assurer qu’il s’agit bien de pathologie alors que c’est un retour à l’écoute du comportement et de ses symptômes que l’on voudrait vite et bien éradiquer. Si après un questionnement serré et dirigé, vous correspondez à un certain nombre d’items dans la rubrique bi-polaire par exemple, vous recevrez les médicaments correspondants, sans réfléchir sur votre histoire personnelle avec tous ses non-dits porteurs de secrets de famille, d’énoncés dont l’incompréhension génère des affects bien douloureux. N’est-ce-pas alors une tentative de rassurer le soignant que de mettre à distance la parole spontanée du patient ? La psychiatrie actuelle rejette les manifestations psychiques et somatiques comme problèmes. Le sujet dans toutes ses dimensions : sujet de l’histoire, sujet du désir, sujet du droit, sujet du langage et de la jouissance est de ce fait rejeté lui aussi. Nous refusons cette optique, pour nous, l’hystérie est une manifestation de l’inconscient même et la causalité psychique est à l’origine des symptômes. Si le diagnostic a son importance en psychanalyse pour la conduite de la cure, bien entendu il ne se superpose pas à celui de la sémiologie psychiatrique. Oui, nous soutenons ces notions cliniques de névrose, psychose et perversion, parce que c’est dans le but de soutenir le sujet d’aujourd’hui menacé. Pour nous, le sujet n’est pas entier, compacte, brut, définitivement fixé dans sa structure, il surgit sous l’action du langage. Il peut bouger, changer son rapport à son symptôme, faire avec, savoir faire autrement puisqu’il est divisé. En cela, la cure analytique a une vertu de guérison. On n’en sort pas comme on y est entré ! Notre part inconsciente de laquelle nous sommes coupés, ce qui nous fait parler de notre division en tant que sujet, dans ce lieu de coupure, de fente, de fermeture et d’ouverture c’est d’abord le lieu du langage dont il s’agit. A partir de nos rêves, lapsus, actes manqués, mots d’esprit, etc.. nous allons découvrir via notre énonciation, le manque, le désir, les fantasmes et l’impossible autour de la quête de l’objet perdu. Nous pouvons ainsi dire que le sujet de l’inconscient est A-VENIR. Après coup, les effets de sa parole prendront sens et nous réorienteront différemment, autrement dans nos choix de vie.

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Comment allons nous suivre le parcours du sujet dans la structure ?

Freud en renonçant très tôt aux « comportements », a introduit dans l’interprétation des rêves, les lois du langage qui se traduisent par le déplacement et la condensation. Grâce aux découvertes de la linguistique, le déplacement appelé métaphore, est une figure de rhétorique mise au travail comme pensée de la langue. Paul-Laurent Assoun, écrira que « la parole freudienne est un tissage de métaphores, loin de n’être que d’ornementation, la métaphore sert et serre la pensée au plus près. » (8) L’autre loi du langage est la métonymie (ex. condensation freudienne), qui s’analyse en une figure de style. La métonymie consiste à désigner un objet par un autre terme que celui qui est habituellement employé, et qui lui est associé par contiguïté, c’est par exemple, prendre une partie pour le tout et dire : « une voile à l’horizon » pour évoquer un bateau; c’est aussi prendre la matière pour l’objet et dire « croiser le fer » pour décrire un combat. C’est enfin prendre le contenant pour le contenu et dire « boire un verre » pour exprimer le fait de prendre une consommation dans un café. Le mouvement de la métonymie est donc toujours le même : il consiste à réduire un ensemble à un détail, l’important à l’anodin, le primordial à l’accessoire.
La « métaphore » comme figure de style consiste à transporter un mot de l’objet qu’il désigne d’ordinaire à un autre objet auquel il ne convient que par comparaison et par similarité : ainsi évoquera-t-on le courage d’un homme en l’appelant un « lion »; ou bien encore parlera-t-on de la fleur de l’âge pour désigner la jeunesse, ou de « l’hiver de la vie » pour désigner la vieillesse.
C’est un procédé souvent utilisé en poésie.

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Que nous traduisent les lois du langage ?

La condensation en psychanalyse est un mécanisme de défense déplaçant la valeur et finalement le sens. Ce travail de condensation est particulièrement apparent lors du rêve. Une seule représentation va en remplacer plusieurs autres, elle est également à l’oeuvre dans les actes manqués, les jeux de mots etc.. La condensation selon son approche structuraliste, Lacan va la représenter comme métaphore.
Le déplacement chez Freud devient métonymie chez Lacan, à savoir : aucun des éléments de la chaine signifiante ne peut à lui seul ouvrir à la signification.
Un signifiant ramène toujours à un autre signifiant, laissant glisser sous la chaine, de manière incessante, le signifié.
Le signifiant s’analyse donc, selon Lacan, comme l’instrument avec lequel s’exprime le signifié disparu. En psychanalyse, ce signifié disparu est constitué par les représentations refoulées dans l’inconscient. Il met l’accent sur la censure, donc sur l’objectif de travestissement et de déformation opéré à l’aide des mécanismes de la métaphore et de la métonymie, qui président à l’émergence des formations de l’inconscient et au travail du rêve.
A partir de ces lois du langage, nous verrons apparaître sans cesse, dans le discours du sujet en analyse, ses questionnements autour du Désir, du Fantasme et de l’Objet.
L’algorithme lacanien du fantasme à savoir : $ <> a, signifie que le sujet est barré dans le désir de l’objet. Par conséquent, le rapport au désir, au fantasme et à l’objet va se poser de façon toute à fait différente selon leur combinatoire, c’est-à-dire en fonction de la place à laquelle se situe l’objet dans le fantasme.Nous pouvons donc repenser ainsi la question de la psychopathogie. « C’est-à-dire que dans la névrose, dans la psychose et dans la perversion, la question même du fantasme se pose de façon tout à fait différente. Autrement dit, dans sa façon d’avoir à faire avec l’objet et le désir ». (9)
Rappelons que le fantasme répond comme recours à la détresse du sujet, il permet de faire un filtre face au réel. Il se construit pour filtrer, se protéger du réel, ne pas être bombardé par lui. La mère du bébé va pendant un certain temps avec son propre fantasme filtrer le réel, avant que l’enfant ne puisse à son tour construire le sien. C’est en tant que lui-même sujet parlant que l’enfant construira, dans la relation à l’autre, au désir de l’Autre, la mère ou son substitut, son propre fantasme désirant comme recours pour ne pas s’effondrer ou se perdre dans l’Autre.
A quel moment quelque chose pourra s’élaborer en terme de fantasme chez l’enfant ? Cette capacité à fantasmer est liée à la constitution même du sujet. Le fantasme est lié au sujet en devenir lui-même pris dans des éléments constitutifs de ce que l’on appelle sujet de l’inconscient.
Aujourd’hui, les psychiatres sont formés par les apports des DSM, et la résolution des symptômes s’opère par les médicaments. Une guerre est déclarée entre les défenseurs du sujet et celle des promoteurs du sujet cérébral. Les neuro-sciences qui ignorent et veulent mettre fin à la subjectivité humaine, en clivant la chose ainsi : ou vous avez un cerveau sain ou bien un cerveau malade ! Ou encore, si vous avez une pathologie mentale, vous cesserez de vous culpabiliser ou de culpabiliser vos parents. Les querelles autour de l’autisme en sont l’illustration éloquente, le DSM abandonnant la causalité psychique à l’origine des symptômes, pour en fait nier l’inconscient, par un discours objectivant donc rassurant.
La notion d’hystérie a également disparue au profit des manifestations comportementales, comme la notion de psychoses maniaco-dépressives au profit de l’invention de la bipolarité, grand chapeau qui regroupera les dépressifs et les agités de toute sorte. Ne serions-nous pas tous Bipolaires en ces temps où la quête de la performance est devenue le nouveau crédo du discours capitaliste ?
En faisant disparaître un certain nombre d’appellations de ces manifestations comportementales grâce aux substances chimiques ne serions-nous pas à même de supprimer l’écoute du patient en souffrance ? Tenter d’exclure la folie n’est ce pas la retrouver dans les rues, là ou le sujet SDF exprime son exclusion mais aussi son expression ? Face au réel qui n’est ni une pensée refoulée ou niée, mais celle de l’impensable, d’un dire qui ne peut pas se dire, c’est pourtant au nom du discours sécuritaire que l’enfermement et la surveillance se durcissent, que le recours à la contention et aux électrochocs revient sur la scène de l’hôpital psychiatrique.
Etre nommé par l’autre, l’expert en la matière, sous couvert d’appellation, de mots nouveaux comme le fait la psychiatrie moderne n’est-ce-pas écraser, faire disparaître le sujet sous le poids du mot qui enfin le définirait ? La psychanalyse tend à disparaître des enseignements et des discours intellectuels, largement remise en question, alors que le sujet bâillonné dans sa parole continue à se dire pas son ambassadrice qu’est l’hystérique et son discours non convenu, toujours opposé à l’ordre conventionnel qui voudrait lui en imposer. En cela est elle un témoin de notre aliénation à partir de la vérité de son symptôme.

A bon entendeur …

Chantal Cazzadori
psychanalyste en libéral à Amiens
membre d’Analyse Freudienne

Conférence Espace Dewailly, Amiens
7 novembre 2016


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E.C. Lasègue (1878), voir Dictionnaire de la psychanalyse, Encyclopédia Universalis, p.290.
Lucien Israël, La jouissance de l’hystérique, Arcanes, p. 43
Lucien Israël, séminaire la jouissance de l’hystérique, p. 49
Lucien Israël, séminaire la jouissance de l’hystérique, p. 59
Position de l’inconscient dans les Ecrits , p. 835
Les complexes familiaux, p.42,44
Les écrits p. 180
Métaphore et métapsychologie, la raison métaphorique chez Freud, Paul-Laurent Assoun, Erès.

Les hortillonnages d'Amiens - ©Chantal Cazzadori
Les hortillonnages d’Amiens – ©Chantal Cazzadori
Voir sur le site : analysefreudienne.net, le séminaire 1 (p.6) de Robert Lévy : Névrose, psychose et perversion, psychopathologie désuète ou ultime rempart contre l’exclusion du sujet de l’inconscient ? Argument de l’année 2015/16.
Sur mon site : www.chantalcazzadori.com, vous trouverez dans la rubrique cours et formation une autre manière de présenter l’hystérie et ses troubles.