La cathédrale de Reims
« Tout s’écoule » fragment N°41, Héraclite.
« Le voyage de mille lieues commence toujours par un premier un pas » Lao tseu, Tao -Te- king poème LXIV (1).
Ce pas, c’est Cronos qui va le faire, et voilà comment!
D’après Hésiode, dans sa Théogonie, avant tout, fut le Chaos (l’Abîme); puis Gaia (la Terre) offerte à tous les vivants, au fond des Abîmes, le ténébreux Tartare et enfin Eros (l’ Amour) qui dompte les cœurs et triomphe des plus sages conseils.
De Chaos naquirent Erèbe et la Nuit. De Nuit sortirent Ether et Lumière du jour.
Gaia à son tour engendra égal à elle-même en grandeur, Ouranos capable de la couvrir toute entière de sa voûte étoilée, elle engendra aussi les hautes Montagnes et la Mer.
De Gaia et Ouranos naquirent, les Cyclopes, les Hécatonchires, les Titans.
Ouranos, premier maitre du monde, considérant sa progéniture comme monstrueuse et craignant pour sa couronne, expédia les Cyclopes et les Hécatonchires dans le Tartare, il voulu s’unir à gaia encore une fois, mais restant en elle, empêcha ses n enfants les Titans de sortir du ventre de leur mère.
Furieuse Gaia incita les titans à renverser Ouranos, la crainte s’empara de tous les enfants, sauf du plus jeune, Cronos, qui accepta d’accomplir la vengeance maternelle, auparavant, elle se serait plainte à celui-ci, des maltraitances du père.
En son ventre la mère avait fabriqué une serpe, Cronos s’en saisit et castra Ouranos.
A partir de la un espace s’ouvre entre Gaia et Ouranos, pour la féconder il lui restera la pluie; si vous le voulez bien on appellera, ce moment la « Serparation » Cronos, le Temps commence à s’écouler, c’est le premier « pas » où le premier refus.
Nous illustrons par là l’indispensable séparation, permettant une issue à la phobie, symptôme de l’impossible séparation.
Gilbert Pelotti
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Il nous a semblé que le mythe d’Hésiode, emprunté à la Théogonie, pouvait par certains côtés servir plus d’introduction que d’illustration à cette forme spéciale de phobie de l’espace qu’est la claustrophobie : spéciale parce qu’elle est sans perspective, sans point de fuite, sans place du regard. Le mythe fonctionne selon le fantasme (de nature il faut bien le dire obsessionnel) d’un enfermement dans un ventre maternel, qui plus est obturé, bouché, par le pénis paternel d’une interminable scène primitive, ou si l’on préfère les références kleiniennes un fantasme de « parents combinés » dans lequel la Mère contient le pénis du père, à ceci près qu’ici les enfants sont comme des équivalents péniens que la Mère (Gaïa) aurait constitué à partir de son propre penisneid (« envie de pénis » : cf FREUD dans l’article De quelques transpositions de la pulsion, en particulier dans l’érotisme anal, série d’équivalences- fèces, pénis, enfant- qui font venir l’enfant réel en place, dès ce stade de l’enfantement, de phallus imaginaire de la Mère –ϕ dans son propre accès à la castration). La belle invention du mythe c’est que pour démêler tout cela il faut l’intervention du langage, sans lequel ne se comprend pas l’ordre ou la facilitation donnée par Gaïa à son fils Chronos, prisonnier in utero d’utiliser in situ , puisque nous avons affaire aux pouvoirs merveilleux des dieux, la serpe magique avec laquelle il va castrer son père, faire sauter si l’on peut dire le bouchon que représentait ce pénis paternel obturateur de la matrice, et accéder à l’air libre…C’est-à-dire à la possibilité pour le regard d’intervenir comme objet a.
Un des intérêts de ce mythe, l’attente de symbolisation qu’il produit, c’est de poser la question du lien entre une situation (ou objet) phobogène (l’enfermement, le lieu clos), un pénis paternel réel ou maternel imaginaire en attente de l’intervention d’une fonction phallique (Фx) qui assignerait les places d’homme et de femme et limiterait une jouissance précisément phallique, enfin d’indiquer la nécessité d’un temps logique pour qu’un espace langage puisse fonctionner grâce à l’apparition de deux signifiants : 1°- la présence d’un signifiant qui ne renverrait qu’à lui-même (point fixe, dit de capiton, dans l’ensemble des signifiants), le Phallus symbolique, mais qui par sa présence même conditionne la propriété de chaque signifiant de renvoyer à un autre signifiant. Le signifiant phobique est-il une sorte de précurseur sous la forme de l’imaginarisation, de positivation, de ce signifiant phallique ? 2°- La nécessité d’un signifiant qui ferme l’espace ouvert du Grand Autre, Le Nom-du-Père, pour permettre la métaphore paternelle, d’abord explicitement dans le mythe le droit donné au désir de Gaïa d’enfanter, sans que cela annule dans sa parole de mère le responsable de la procréation, à savoir Ouranos.
Mais ce mythe peut servir à amener, nous en convenons de façon un peu artificielle, une autre question dont dépend peut-être la compréhension de l’objet phobogène dans sa relation d’une part au signifiant en général et à ces deux signifiants en particulier que sont le Phallus symbolique ( ou la fonction phallique) et le Nom du Père. Autrement dit quels liens existe-t-il, et c’est bien la question théorique que suggère le mythe, entre objet a cause du désir dans le fantasme et ces deux avatars que sont l’objet transitionnel, et l’objet d’angoisse. D’un point de vue topologique, une série de transformation entre le cross cap (objet a cause du désir), surface romaine de Steiner (objet transitionnel) et surface de Boy (objet d’angoisse) permettraient peut-être d’illustrer cette question.
Passons maintenant en extérieur, puisque nous sommes sortis du ventre de Gaïa, et établissons un parallélisme entre l’angoisse phobique et ce qu’en obtint comme équivalent et par sublimation un cinéaste comme Alfred Hitchcock.
L’œuvre d’Hitchcock constitue une exploration, d’une grande précision clinique, de l’univers de la phobie, permettant finalement de comparer le vécu du héros du film avec celui d’un sujet phobique.
L’angoisse phobique, comme attente de la survenue d’un danger imminent risquant de dépasser les capacités du sujet à y faire face, est donc identique au processus du suspense, « attente anxieuse, doute sur la suite du déroulement de l’histoire » dans les films d’Hitchcock. Le suspense est suscité par un art du cadrage (l’angoisse surgit toujours encadrée nous dit Lacan) et du minutage de l’action avec des effets d’accélération et de décélération. Ce qui devient l’objet qui déclenche le suspense ou l’attaque de panique, est situé au niveau du point de fuite (la place du regard dit Lacan) autour duquel s’organise une des perspectives du plan ainsi cadré : à cette place du regard se trouve donc le réel d’un espace qui va détruire le sujet en le happant ( par exemple Vertigo encore appelé sueurs froides), ou sous la forme d’un morceau d’espace dangereux tel des oiseaux qui vous tombent du ciel (Les oiseaux) ou encore un avion sulfateur de produits agricoles qui soudain vous prend pour cible (La mort aux trousses) et dont la trajectoire en rase-motte vient se télescoper avec celle rectiligne, au sol, du camion que le héros tente d’arrêter et qui menace de l’écraser. Ailleurs, surgit l’assassin et son couteau de boucher (Psychose) en haut d’un escalier, ou avant d’atteindre le bout du couloir sur lequel donnent de nombreuses portes, voire dans le cul de sac d’une cave, ou encore en se profilant derrière un rideau de douche. Pour le phobique, le risque du surgissement de l’objet phobogène dans l’espace pour déclencher l’attaque de panique obéit aux mêmes lois de configuration de l’espace et d’enchaînement des situations que celles qui procèdent à la création du suspense.
D’où vient la remarquable intuition du sujet phobique, comparable à celle des héros hitchcockiens lorsqu’ils sont les seuls à comprendre et pouvoir résoudre l’intrigue criminelle ? Elle tient à une situation très fréquente retrouvée dans la biographie du phobique: celle d’un père doublement absent dans la petite enfance du sujet, absent dans la réalité (par exemple parce qu’il était professionnellement éloigné de sa famille ou pour une raison de choix personnel ou privé) et dans le discours que ceux qui s’occupent de l’enfant tiennent sur ce père absent : l’enfant développe alors ses capacités d’intuition en essayant de deviner ce qu’on ne lui dit qu’en pointillé ou à mi-mot quant à l’absence paternelle…
Le manque de consistance de l’image de soi permettant d’affronter les situations de danger présentes dans l’espace, s’explique également chez le phobique par la difficulté à se référer, grâce à une identification solide, à l’image de ce père absent et aux idéaux que ce père est sensé représenter auprès de lui : cela conduit à compenser ce manque de consistance de l’image de soi en prenant appui sur l’image d’un semblable, en empruntant donc celle d’un accompagnateur, mais aussi en déplaçant la question de la consistance sur la compréhension symbolique du sens des situations.
L’éclosion, fréquente dans les films d’Hitchcock, du sentiment amoureux à l’égard du partenaire sexué avec lequel le héros fait équipe (l’équivalent de l’accompagnateur qui réassure le phobique donc), permet par comparaison de repérer le lien qui existe dans le cas du phobique entre objet phobique et sexualité : dans la petite enfance l’absence ou les discontinuités de la présence du père laissent comme en suspens l’issue du conflit œdipien (entre 3 et 6 ans) , le père n’étant plus là pour séparer réellement et symboliquement l’enfant de la mère, notamment en posant à l’enfant l’énigme de l’exercice sexuel de ce père auprès de la mère, et finalement pour servir de façon stable de support identificatoire.
La culpabilité est le résultat de ce conflit non résolu par un positionnement stable de l’enfant de 6 ans dans l’avoir masculin ou dans l’être féminin qui colmaterait l’angoisse dite de castration à cet âge, la sexualité restant mystérieuse pour l’enfant car suspendue à ce père énigmatiquement absent, à la fois redouté et désiré ; il s’agit donc d’une mise en suspens de la fonction Фx ; dans L’inconnu du Nord-Express le héros essaie de protéger un père que son fils veut faire assassiner mais doit se disculper de la responsabilité d’un autre crime que le criminel veut lui faire endosser.
Pour Lacan la phobie était, d’un point de vue psychopathologique, une plaque tournante pouvant se résoudre soit du côté de la normalité, soit dans des structures névrotiques comme l’hystérie et la névrose obsessionnelle, mais aussi dans la perversion. Les comportements d’Hitchcock envers l’actrice Tippi Hedren, la blonde « froide » du film « Les oiseaux », la poursuivant de ses assiduités et la blessant en l’exposant dangereusement à des lâchers de mouettes et de corbeaux lors du tournage du film, semblent indiquer quelle fut la voie de résolution, sublimatoire certes, mais aussi perverse, de sa névrose infantile.
Charles Marcellesi