Cette intervention est la dernière de ce congrès sur la guérison. nous sommes tous fatigués, alors je vais faire court, ceci à entendre comme ce travail fait leçon pour moi.
Serge, je te remercie pour ton exposé, ainsi que les coordonnants qui m’ont invité à te discuter. Cela m’a permis de réfléchir en particulier, à une question, concernant le statut du symptôme, que je n’avais pas envisagée de ce point de vue, jusqu’à présent.
Après avoir noté que Freud a qualifié les symptômes de bénéfice primaire, c’est à dire en tant que mode de satisfaction de la pulsion, tu amènes la question des symptômes « à considérer comme solution de compromis et comme tentative de guérison ». C’est sur cet aspect, des symptômes comme tentative de guérison, que nous n’avons pratiquement pas abordé au cours de cette année de travail sur la guérison, que je voudrais centrer ma discussion.
Tu dis que « les symptômes névrotiques sont des moyens pour essayer de rétablir un certain équilibre », et que finalement « ils sont à la fois des tentatives de guérison, et qu’en même temps, ils sont pathogènes, sources de fixation répétitives ». On peut dire la même chose, dans la psychose, des délires, qui tentent par une production imaginaire de combler une faille du symbolique, et sont donc ainsi une tentative de guérison, et en même temps un symptôme, dont la disparition est considérée par les psychiatres comme équivalente à la guérison. Ce petit travail sur le statut du symptôme, que tu m’as amené à faire, montre que pour pour nous, psychanalystes, la disparition du symptôme ne peut pas être considéré comme étant la guérison, elle même.
Tu poses que la guérison est en même temps l’objet de la demande et son expression, ce qui a pour conséquence, comme tu le fais justement remarquer : « Pour qu’il y ait psychanalyse, il faut, à un moment ou un autre, que la demande originelle de guérison soit imbriquée, mêlée, à une demande de savoir ». C’est une façon passionnante de s’interroger sur la conduite des entretiens préliminaires, en répondant ainsi à la demande de l’analysant. Il ne s’agit pas de faire le recensement des symptômes, mais de permettre au sujet de s’interroger sur le statut de son ou ses symptômes. Ce qui est ainsi renvoyé au sujet, est la fonction du symptôme comme le constituant en tant que sujet.
En effet, ton exemple clinique montre avec clarté que le dispositif transférentiel, comme tu le nommes, en créant la névrose de transfert, permet à ces symptômes, en tant qu’aspect pathogène ( source de fixations répétitives ) de se déplacer en un autre lieu, sur une autre scène, où ils sont mobilisables. En les remettant à leur place de signifiants, ils peuvent être (1) travaillés dans un contexte signifiant. Cette tentative de guérison, peut alors être transformé en un discours du sujet. La répétition, qui se déploie dans la reproduction des séances, pousse à parler, pousse les symptômes à s’exprimer. La guérison peut aussi consister en la production d’un discours du sujet. Ainsi, le symptôme névrotique est une tentative de guérison qui peut réussir lorsque ce symptôme peut se révéler comme étant constitutif du sujet.
Lacan, dans le séminaire VII « L’éthique de la psychanalyse » l’affirme ainsi: « Le symptôme, c’est le retour par voie de substitution signifiante de ce qui est au bout du Trieb, de la pulsion comme étant son but (1) » Le symptôme apparaît d’une part comme un mode de satisfaction de la pulsion, et d’autre part, en tant que signifiant, il est le retour du refoulé. Lacan nous dit là, tel que je l’entends, que seule cette fonction de signifiant permet de distinguer le retour du refoulé de la satisfaction de la pulsion. Cette double appartenance est un compromis entre la pulsion, ainsi satisfaite, et, pour rester dans une perspective freudienne, le principe de réalité avec le moi qui cherche à unifier; ce qui revient à une façon de décrire la division subjective.
Dans le séminaire X « L’angoisse », Lacan précise que le symptôme est le résultat de la constitution du sujet : « Ceci veut dire que la cause, impliquée dans la question du symptôme, est littéralement, si vous le voulez, une question, mais dont le symptôme n’est pas l’effet, il en est le résultat. L’effet, c’est le désir 2. Ainsi, si un sujet est barré [$], divisé; le symptôme névrotique est ce qu’il résulte de cette division. Vouloir faire disparaître ce symptôme est une tentative de nier la division subjective; et pour le dire autrement de faire taire le sujet.
Tu dis que « La découverte de Freud repose sur ce fait que nous sommes duels, et que ce dont il convient de parler, c’est de l’autre qui est en nous ». Non seulement je souscrit complètement à cela, mais aussi tu montres que le symptôme est « duel », c’est-à-dire qu’il représente la division du sujet, et que cet « autre ignoré, refoulé, voire forclos » est celui dont on ne veut rien savoir, celui haï, celui de l’inconscient, celui qui nous fait êtres de langage, parlêtres.
Si le symptôme est bien une tentative de guérison, c’est qu’il est impliqué dans la constitution du sujet. Sa double fonction: pathogène et tentative de guérison, est la projection de la division subjective. Si on cherche à l’éradiquer, cela revient à supprimer la guérison elle-même.
Philippe Woloszko Paris , le 8 octobre 2017.
1 J. Lacan. L’éthique de la psychanalyse. Séminaire VII. Version Valas. P 224.
2 J.Lacan. L’angoisse. Séminaire X. Version Valas. P531/2 (et 562).