Depuis près de cinq ans se succèdent enquêtes et rapports pointant une dérive généralisée des pratiques d’isolement et de contention dans les établissements publics de santé mentale. Pourtant, il ne se passe rien. Les autorités administratives et politiques ne réagissent pas, ou se limitent au service minimum alors que devant le moindre incident sanitaire, la ministre de la Santé va sur le terrain, tempête, et lance une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).
Y aurait-il deux catégories de malades, ceux que l’on écoute et ceux qui sont hospitalisés dans les établissements psychiatriques? Le dernier rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, publié le 25 mai, fait froid dans le dos, tant il montre que ces pratiques se banalisent. Quelques extraits, sur les témoignages des malades eux-mêmes : « C’est un sentiment d’incompréhension, voir de punition qui domine. Des patients disent aux contrôleurs de ressentir la menace de mise en chambre d’isolement s’ils ne se montrent pas assez « dociles » avec les personnels soignants. Certains affirment prendre les médicaments pour ne pas être attachés . » Adeline Hazan parle de « dignité humaine bafouée ». « Certains malades attachés n’ont d’autre choix que d’attendre le passage d’un infirmier, parfois toutes les deux heures et moins la nuit, pour obtenir à boire, demander le bassin ou signaler un malaise. »
En France, on le sait et on tourne la page. Comme si les hôpitaux psychiatriques, qui ont certes perdu leurs murs extérieurs, en avaient reconstruits d’autres à l’intérieur. Député socialiste du Loir-et-Cher, Denys Robiliard a été un des premiers élus à s’inquiéter de ces pratiques ; de guerre lasse, il a glissé un amendement dans la loi de santé à l’automne. Il nous disait alors : « J’ai hésité, car il y avait un risque de légitimer ces pratiques. Mais il fallait donner un signal d’alerte. »
Qui l’a entendu ? Tout continue dans l’indifférence. En mars, une enquête de la même contrôleuse générale avait pointé la situation « ahurissante » de l’hôpital psychiatrique de Bourg-en-Bresse. Que s’est-il passé depuis ? Aucune sanction, aucune mutation. Il y a bien eu une pétition, lacée par le Conseil des 39 – « Quelle hospitalité pour la folie ? » – sur le thème « non à la contention. Elle a recueilli à peine 5000 signatures. Nombre d’équipes psychiatriques font avec ces pratiques, s’y habituent. Comme une croix assumée, comme une croix assumée, accusant souvent à bon compte le manque de personnel pour justifier l’enfermement des patients. Aujourd’hui, on compte sur les doigts de la main les services de psychiatrie qui n’ont pas de chambre d’isolement. C’était l’inverse il y a trente ans. Depuis 1986, responsables politiques et professionnels de la santé, répètent un même slogan :
« Le malade doit être au centre de notre système de santé. »
Cela dépend quel malade.
Article d’Eric Favreau
Journaliste au service France
Journal Libération mai 2016