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Discussion “La guérison analytique de dommage dans la vie quotidienne du sujet” Congrès A.F 2017

Le titre qu’Anna a choisi pour son travail m’a fait penser à la réponse que Freud a offerte à l’une de ses patientes à propos de ce qu’on pouvait attendre d’une cure.

Dans le chapitre consacré à la psychothérapie de l’hystérie, au sein des études sur l’hystérie, Freud raconte:

“J’ai très souvent entendu mes malades m’objecter, quand je leur promettais un secours ou une amélioration par le procédé cathartique : « Mais vous dites vous-même que mon mal est en rapport avec les circonstances de ma vie, avec mon destin auquel vous ne pouvez rien changer. Alors comment pourrez-vous m’aider ?”

Freud poursuit: “j’ai alors donné la réponse suivante : « Certes, il est hors de doute qu’il serait plus facile au destin qu’à moi-même de vous débarrasser de vos maux, mais vous pourrez vous convaincre d’une chose, c’est que vous trouverez grand avantage, en cas de réussite, à transformer votre misère hystérique en malheur banal. Avec un psychisme redevenu sain, vous serez plus capables de lutter contre ce dernier.

Lutter contre ce malheur banal, précise Freud, savoir “faire avec”, en guise de réponse à la question sur la cure que nous nous posons aujourd’hui, mais qui un siècle plus tôt accompagnait déjà un psychanalyste en herbe.

Ricardo Díaz Romero, dans un court article intitulé “la question de la technique du psychanalyste”, reprend cette réponse “changer la misère hystérique en un malheur banal…” pour situer la misère hystérique dans la ligne des avatars qui viennent du fait que, structurellement, le moi est l’autre, l’inconscient est le discours de l’Autre et le désir est le désir de l’Autre.

Quant à ce qu’il adviendrait comme malheur banal suite au processus de la cure, Diaz Romero revient sur la question de la structure du point de vue de la topologie, sans oublier de souligner que, pour Lacan, la topologie ne décrit pas la structure, mais qu’elle est la structure. Je cite ici l’auteur:

“La structure est coupe, la structure est ce qu’il est impossible d’écrire, la relation sexuelle, la structure est un désir tel qu’il ne puisse se réaliser que sous une forme hallucinatoire. La structure c’est que la jouissance ne peut se situer qu’au-delà du principe de plaisir.”

C’est cela l’incurable qu’on pourrait aussi appeler sans rien forcer:“ le malheur banal”.

Dans son introduction, Anna propose de penser la dialectique satisfaction/insatisfaction comme un moyen qui permet à l’hystérie d’être en lien avec la jouissance autrement dit qu’elle se joue dans la jouissance humaine: le manque.

Satisfaction–insatisfaction désignerait la croisée où resterait condamnée la jouissance dans l’hystérie, une jouissance qui, comme le décrit Anne, monte sur la scène de l’analyse en tant que jouissance non convoquée, douloureuse et impossible à gérer.

Nous savons à quel point il est difficile de modifier le symptôme quand le sujet établit avec lui-même une relation de souffrance–jouissance de l’inconscient-, mais maintenant: est-ce à partir de cette relation au symptôme à partir de laquelle pourront être surmontées les souffrances dans lesquelles le symptôme est attrapé? La question qui se pose ici: la souffrance est-elle la voie unique qui permettrait au sujet de vivre la rencontre avec le symptôme?

Quand Lacan propose l’identification au symptôme comme l’une des possibles fins de l’analyse et une chance de réinvention subjective dans l’acte même de cette identification, ne propose-t-il pas la déviation du symptôme de cette dialectique satisfaction–insatisfaction ? Avec l’identification au symptôme, il met en jeu la castration et avec elle, le rejet de la jouissance qui sera atteinte par l’échelle inverse de la loi du désir. Cette jouissance de l’inconscient ne se changerait-elle pas en désir?

Viser à modifier une part de l’insatisfaction dans l’hystérie, à partir du discours de l’hystérie, de ce savisme qu’Anna reprend de Nestor Braunstein, n’est-ce pas confirmer la structure hystérique précisément là où s’éternise sa demande, c’est-à-dire du côté “mâle-macho” des formules de la sexuation? Là où l’hystérie croit en un père et professe sa religion? Nous pourrions dire que c’est cette impasse d’une demande de phallus qui n’est pas épuisée qui débouche sur ce qu’Anna désigne comme décevant ou même comme la cause de l’ état de dépression du patient. Ces manifestations prendraient la place du deuil de ce phallus attendu, deuil dont le traitement passe par le désintéressement du père dans le but d’obtenir l’identification avec ce dernier, ce qui permettrait de transiter par le côté gauche des formules de la sexuation de manière plus paisible et ce qui, en même temps, rendrait possible cet autre côté où Lacan situe la jouissance pas-tout.

Voilà ce à quoi nous renvoie Anna dans ce texte quand elle cite le passage “Dans l’analyse entre l’orbite de l’insatisfaction et le champ de la jouissance” dont parle Nestor Braunstein dans “La jouissance, un concept lacanien.”

Anne rappelle dans ce travail et je cite textuellement: “ Je pense donc qu’il est impossible de s’assumer en tant que jouissance de l’Autre, mais qu’il est possible de le faire en tant que sujet de soi-même. De fait, c’est dans le sens de la responsabilité vis-à-vis de l’inconscient de soi.” L’itinéraire -qui suit la jouissance depuis qu’expulsé de la Chose, il en vient à être récupéré par voie métaphorique- ne peut avoir lieu sans avoir été préalablement balisé par le phallus qui mène de la perte au manque. Mais maintenant, le phallus -qui limite toujours- est-il le seul capable d’inscrire la rencontre avec le réel?

Anna signale l’existence d’une jouissance, la jouissance phallique, et une sorte d’écriture, celle qui vient du processus de l’élaboration de la répression et qui se convertit en une tâche insurmontable pour la psychanalyse dans le traitement de la névrose bien qu’elle soit le seul moyen de la guérir.

J’aimerais apporter, suite à la réflexion d’Anna, les questions suivantes: qu’en est-il de l’avance de l’analyse qui n’a pas encore su trouver une forme suffisamment renouvelée d’affronter la rencontre avec le réel qui échappe à la tentative d’appréhension signifiante? Que faire avec ce réel qui est pour Lacan l’heure du réel qui vient du côté du féminin et du pas-tout? N’aurions-nous pas besoin d’une écriture différente pour une jouissance autre que celle que procure la jouissance phallique? Pouvons-nous parler d’une autre écriture sur laquelle se trace par exemple la création du symptôme comme possible fin de l’analyse?

Enfin, j’aimerais reprendre la question de la structure telle qu’elle apparait au début de cette réflexion, structure qui, en elle-même, est le malheur banal: l’incurable. Si nous prenons en compte la possibilité d’un autre type d’écriture du réel, ne nous trouvons-nous pas alors dans ce que Lacan nomme: « le nœud borroméen »? La structure où l’insatisfaction se transmute en incurable et où, par conséquent, la nouvelle relation à la jouissance nait de l’acte créé par le sujet dans sa rencontre avec le réel.

S. Sofía Ortega