© Marie-Pierre Valat
J’appuierai les arguments énoncés dans cette conférence sur l’ouvrage de Clotilde Leguil
« L’être et le genre », Homme/Femme après Lacan, paru en 2015 au Puf.
Cette question sur l’identité sexuée nous renvoie aux études de genre qui portent « le trouble dans le genre », selon l’expression de Judith Butler, trouble qui suscite autant de réticence et de passion dans nos sociétés démocratiques et contemporaines.
Comment les normes de genre s’affranchissent-elles dans notre climat du XXIème siècle ?
En effet les rôles d’homme et de femme, ne se jouent pas comme une partition écrite d’avance, les sujets contemporains n’y croient plus.
Mais être une femme, être un homme, est-ce seulement se soumettre à une norme ?
La fabrique du genre, c’est-à-dire l’absence de tout genre naturel, se construirait dans l’identification sexuée, ce qui laisse bien apparaître que le sexe et le genre deviennent deux concepts, que l’on peut faire jouer, pour décrocher le rapport au genre de toute référence à la nature.
Nous pouvons donc parler d’une nouvelle émancipation, mais la question de la valeur du genre dans notre existence disparaît-elle pour autant ? Autrement dit, une fois les normes déconstruites que reste-t-il du genre ?
Avec Lacan, la psychanalyse a ouvert la voie à un abord du genre qui fait voler en éclats tous les stéréotypes et introduit du trouble en chaque être. Les études du genre sont en cela redevables à la recherche analytique, nous allons voir comment ? (1)
Nous sommes passés par la fin de la répression sexuelle en 1968, « notre corps nous appartient », et de la libération de la femme en automne 1970, « année 0 », un numéro spécial de la revue MLF en témoigne. La prise de position politique et psychosociale, place sans ambiguïté la femme comme sujet et non plus comme objet. Les ressorts de la misogynie, et du déni masculin s’éclairent.
Antoinette Fouque pose l’existence d’une autre libido que phallique, celle utérine, c’est-à-dire propre à la femme. Un mouvement est né, en 1974, la création des Editions des Femmes, de journaux, de librairies, d’un maillage militant, d’actions de solidarité avec les femmes opprimées du monde entier. En quarante ans, il y a eu plus de transformations qu’en deux mille ans d’histoire. Les femmes ont revendiqué d’autres désirs, (la parité en politique etc…), d’autres valeurs, (partage de l’autorité parentale etc…), et, ce faisant, font quelque peu mûrir la démocratie française.(2)
Monique Wittig, féministe française, dont l’œuvre a beaucoup marqué les théories du dépassement du genre, qualifie les catégories d’hommes et de femmes de catégories : « totalitaires », dans son souhait de les anéantir définitivement. Ses œuvres : Les Guerrières, 1969, Le Corps Lesbien 1973, La Pensée Straight 1992 structureront le courant féministe, radical et réformiste, avec le slogan « Un homme sur deux est une femme ». Elle défendra l’avortement et prônera la « désexuation », bien plus encore, elle voudra « abolir le terme femme » marqué par l’oppression. Des actions spectaculaires, voire provocatrices, vont, au nom de l’universalisme, et de l’égalité des deux sexes, carrément revendiquer la négation de la différence des sexes, passer en quelque sorte par l’unisexe. Elle s’est autoproclamée : lesbienne radicale, formule qui désigne autant une préférence sexuelle qu’un choix politique. (2)
Que s’est-il passé pour que certains dénoncent la disparition des fondements de la civilisation et que la question de l’être et du genre soit devenue si grave, si pesante, si polémique au point qu’elle puisse susciter çà et là des réactions de haine et de conflits violents dans la société civile ? (3)
Passons en revue brièvement les deux courants en matière de genre.
Pour les féministes, théoriciennes du « Gender », qui montrent ce qu’il y a de construit dans l’identification sexuée, il faudrait se défaire des normes illégitimes pour accéder enfin à un rapport à soi et à son corps, dénué d’assignation venant de la société. Etre un homme, être une femme, ne serait qu’un impératif au service d’une hétérosexualité obligatoire, obligeant des sujets qui ne se sentent pourtant ni l’un ni l’autre à se conformer à des normes qui ne sont pas faites pour eux.
Pour ceux qui suivent la voie de la tradition qui refuserait d’interroger le genre, il ne serait pas question d’interroger le genre considéré comme un héritage naturel, auquel on ne pourrait que se plier. Il faudrait en cela consentir à s’en remettre à une donnée inexorable.
Entre ces deux courants donc, n’y aurait-il pas une troisième voie ? (3)
Les Gender studies qui ont fait du « genre » leur objet scientifique, nous ont peut-être réveillés en nous forçant à reconnaître qu’en la matière, il n’y a aucune évidence. Rien ne va de soi. Ni d’être une femme, ni d’être un homme, ni d’aimer le sexe opposé ni d’aimer le même sexe. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Elles nous ont aussi réveillés en dénonçant l’homophobie de la société, fondée sur un certain nombre de stéréotypes dégradants à l’égard de celles et de ceux qui ne se définissent pas comme hétérosexuels. En cela, elles ont fait progresser l’opinion. Les stéréotypes étaient bien souvent mis au service de l’exclusion de l’Autre. (4)
L’approche du genre à partir des normes de genre est une approche sociologique et politique, qui a toute sa légitimité. Si les Gender studies ont contribué à accroître l’égalité et la justice entre les hommes et les femmes, entre les homosexuels et les hétérosexuels, c’est qu’elles sont nécessaires et qu’elles sont le porte-parole de toutes celles et ceux qui souffrent d’une absence de reconnaissance de leurs droits. Mais peut-on s’en tenir là ? Le genre n’est-ce pas aussi pour chacun un point opaque dans l’existence ? Une interrogation subjective qui n’a rien à voir avec des normes anonymes ? Qui y croit vraiment à ces normes de genre qui feraient de l’homme et de la femme de simples comportements adéquats à une certaine idée stéréotypée du mâle et de la femelle dans le monde ? Ne sommes-nous pas en train de nous perdre dans la querelle du genre lorsqu’on le réduit à une norme anonyme et stéréotypée ? (5)
Une troisième voie de réflexion théorique :
Le genre n’est pas une marque indélébile. Quel que soit le corps que l’on a, on se sent homme ou femme selon certaines rencontres, selon certains émois, selon certaines passions à certains moments de son existence. Il ne s’agit pas d’un caractère acquis une fois pour toutes. L’être, c’est peut-être comme le disait Spinoza et comme Lacan l’a redit, le désir. Le genre, par-delà les normes et les stéréotypes, c’est dès lors le genre en tant qu’il éveille en chacun la question de ce qu’il désire et de qui il désire. Sexuellement et amoureusement. (6)
Prendre la question du genre à partir de “l’insoutenable légèreté de l’être”, ne constitue pas la même démarche qu’aborder le genre par opposition au sexe, comme le font les Gender studies.
C’est s’intéresser sur les effets du genre homme, du genre femme, sur l’être en tant que sujet qui parle et qui désire. (7)
Au XXIème siècle, ce n’est plus seulement de l’être et du néant qu’il est question mais en un certain sens, de l’être et du genre. Pourquoi ? D’abord parce que le rapport au néant ne dit plus rien de l’angoisse contemporaine. Au temps du « libre-service libidinal », et du « nouvel académisme du trash », comme l’écrit Pascal Bruckner (8), l’angoisse s’articule à un surmoi hédoniste qui invite à jouir sans répit de son corps et de celui des autres. Les sujets hypermodernes de la connexion perpétuelle n’ont donc plus tant rapport au néant que rapport au plein et au trop. Le néant apparaît comme une catégorie désuète en cette époque où le sexe est devenu « le plus sûr produit de la société marchande » .(8) En effet, ce que les sujets rencontrent dans le monde de l’hyperactivité et de la stimulation obligatoire, c’est un impératif pulsionnel et un principe de répétition. La dictature du « plus-de-jouir », dévaste la nature, elle fait éclater le mariage, elle disperse la famille et elle « remanie les corps » comme le dit Jacques-Alain Miller. (9)
Ensuite, après la psychanalyse, après Freud, après Lacan, la question du genre est advenue comme un enjeu crucial de l’existence. Un enjeu reconnu comme tel.
Avec Lacan quelle nouvelle version ?
Avec Lacan, il n’y a pas plus d’être en général, il y a des êtres sexués. Devenir sujet c’est parvenir à assumer d’une façon singulière son être sexué. La question « qui suis-je ? », n’est plus alors seulement d’ordre métaphysique. C’est une question qui ne se pose qu’à partir de la vie sexuelle et amoureuse. Qui suis-je en tant qu’être sexué ? Telle est avec Lacan la nouvelle version de la question existentielle.
Autrement dit, comment être avec ce corps sexué en tant que sujet qui parle ?(10)
Avec la découverte de l’inconscient par Freud, et sa réinterprétation par Lacan, être un homme et être une femme ne relève d’aucun programme, biologique ou culturel. Ces programmes existent, car le corps est aussi un organisme, et le sujet est aussi un animal culturel. Dans sa conférence sur la féminité, Freud affirmait en 1931 que ni l’anatomie ni la psychologie ne permettaient de dire ce qu’est une femme.
Lacan concluait dans les années 1970 en disant que finalement, personne ne sait très bien ce qu’est une femme ni ce qu’est un homme, et que la seule chose qu’on peut dire, c’est qu’il s’agit de signifiants. De Sartre à Lacan, on est donc passé de la dialectique de l’être et du néant à celle de l’être et du genre. Car là où il y a néant, là où il y a manque, là où on ne sait plus ce qui fonde l’être, précisément, on rencontre la question du genre que l’on a, ou que l’on n’a pas. Autour du genre, c’est alors la question de l’être et du corps, celle du sujet et de son sexe, que se pose comme un mystère pour chacun. L’aspiration actuelle à une refonte des normes du genre, ou à une disparition de celles-ci, pourrait être une réponse à l’angoisse que suscite chez tout sujet ce lieu du genre, ce lieu où il n’y a précisément rien écrit de très lisible. Il y a des traditions, il y a des normes, il y a des habitus, il y a des comportements, certes. Il y a aussi des pratiques sexuelles qui se veulent transgressives, de nouvelles façons de s’approprier son corps, de l’aimer et de le haïr, d’en faire un objet à sa guise. Mais rien de cela ne suffit de dire à chacun ce que c’est que d’être une femme. C’est bien pour cela que l’angoisse surgit.
S’il reste peut-être un lieu où le manque se fait connaître, c’est peut-être dans le rapport de chacun à son genre. Car en ce territoire du genre, le texte fait défaut. Si le genre d’un être met en jeu son rapport au corps, ce n’est ni sur le mode d’un déterminisme, ni sur le mode d’une entreprise acharnée de fabrique du corps. Le genre met en jeu la vie sexuelle d’un sujet, mais il fait aussi entrer en scène le rapport du sujet au langage et par conséquent le rapport à l’Autre. En allant à la rencontre de ce manque que produit le genre au cœur de l’être, je voudrais explorer l’insoutenable légèreté du genre par-delà les normes nous précise l’auteure Clotilde Leguil. Pour fuir tout stéréotype, c’est avec des énonciations singulières que l’on peut entrer dans le continent du genre, continent où chacun avance à sa façon en trébuchant et en tâtonnant, car il n’existe aucune carte pour trouver son chemin dans ce territoire vierge. C’est précisément là où tous les stéréotypes finissent par s’effacer tels des mirages imaginaires que l’on commence à parler du genre sérieusement, intimement et singulièrement. (11)
Un nouvel enjeu de la différence des sexes ?
De fait, la différence des sexes et maintenant formulée en termes de différence de genre. Le sujet tout en se dégageant des normes de la société traditionnelle, ce que signifie être un homme ou être une femme reçoit une nouvelle interprétation. Menace de fin de monde ? Promesse d’un monde meilleur ? Au niveau des concepts, tentons de reprendre la question à laquelle nous ne pouvons plus échapper. Avant d’être la question des Gender Studies, elle est et reste aussi celle de la psychanalyse au XXIe siècle.
Comment la théorie analytique aborde-t-elle le genre tout autrement que les Etudes du genre ?
Pour la psychanalyse, le genre est de l’ordre d’une position subjective, rendant compte d’un certain rapport au corps et à l’Autre, après quoi le sujet court, tentant ainsi de rejoindre quelque chose de son être, sans jamais l’être totalement. Le silence que l’on rencontre en la matière ne nous empêche pas de tenter de le définir. Pas d’abolition du genre, pas de soumission des individus aux contrôles de leur vie sexuelle et de leur désir donc comme le prétendent les Gender studies. Deux approches antinomiques du genre, puisqu’en psychanalyse le terme genre n’est employé ni par Freud, ni par Lacan. Dans le processus de la cure le savoir délivré n’est pas universitaire mais bien de l’ordre de l’expérience subjective. Mais la psychanalyse, tout en répondant différemment à la question du genre que les Gender studies, ne considèrent pas pour autant que le désir quel qu’il soit devrait être normalisé, ni que l’hétérosexualité jouit d’un privilège quelconque au regard de l’homosexualité. Lacan rappelle dans « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dès 1953, qu’il se référait à l’histoire de chacun, au sens d’une histoire subjective faite de temps logiques. La définition de l’inconscient structuré comme un langage n’est donc pas incompatible avec celle de la reconnaissance de la dimension historique, c’est-à-dire l’Histoire (la grande) et les déterminations sociales ne sont pas ignorer pour autant.
L’inconscient n’introduirait pas à un sujet sans historicité mais tout au contraire à un sujet qui ne peut advenir que depuis une articulation de sa propre histoire jusque-là laissée à l’état de traces non déchiffrées que sont les symptômes. (12)
Pour Freud, il y a plus qu’une référence de degré entre le normal et le pathologique. Si les sujets souffrent, ce n’est pas d’une maladie mais d’un conflit psychique, en fait des « maladies de la parole ». L’approche analytique contribue donc à dépathologiser la souffrance et à détacher le sujet de sa croyance en une normalité face à laquelle il se sentirait en défaut. On n’est donc ni malade, ni à soigner quand on fait une analyse. Mais il est vrai que l’on croit dans la possibilité d’agir sur sa souffrance à partir de la parole.
Le souci politique de Monique Wittig de dénoncer les effets de la pensée hétérosexuelle semble la conduire à condamner la psychanalyse à partir d’une approche très superficielle à la fois de la cure et de l’inconscient. N’y aurait-il pas un rapport entre cette volonté de faire disparaître le signifiant « femme » de la langue et ce refus de l’inconscient ?
Car pour Lacan, précisément, le signifiant « femme » est de ceux qui ne trouvent pas à se signifier, de ceux qui conduisent chacun à se confronter à une lacune. « Suis-je une femme ? », « Qu’est-ce qu’être une femme ? », sont des questions qui conduisent le sujet à se confronter à une absence de réponse toute faite. Rencontre donc, avec un non-savoir qui conduirait le sujet à se retourner sur lui-même, dira Lacan. Ce rejet de l’approche analytique par Wittig, n’empêche pas de faire écho malgré elle à l’approche lacanienne. Elle développera dans son introduction du livre « La Pensée straight » : « qu’il n’y a pas de territoire pour les femmes ».
Ce serait, pourrait-on dire, comme une torsion de l’approche lacanienne, relevons ce que nous dit Lacan dans son séminaire Encore 1975, p. 68 : « il n’y a de femme qu’exclue par la nature des choses qui est la nature des mots », n’est-ce pas une approche du genre autrement ? La femme lutte contre l’idée de « La-femme en tant que concept essentialiste » pourrait encore apparaître comme un écho de l’approche lacanienne qui prenait à rebours le mouvement féministe d’alors.
Cette approche de Monique Wittig, ne se confond pas avec celle de Judith Butler. Pour elle, elle dénonce aussi à sa manière ce qu’elle appelle avec le psychiatre Robert Stoller un « noyau dur » du genre. Ce qu’il y a de dangereux dans le genre, c’est l’effet qu’il produit sur les sujets. Elle articule le genre et l’être en faisant de l’être un effet du genre. C’est le genre en tant que norme qui produirait de l’être « homme » et de l’être « femme ». En ce sens, le genre conduit à une substantification, à une essentialisation. L’être n’est que le rejeton du genre lui-même, masque de la norme. On pourrait remarquer que la question de la différence des sexes ne préoccupe absolument pas la philosophie et que le discours ontologique a pour caractéristique de parler de l’être en général. Ni Platon, ni Aristote, ni Descartes, ni Spinoza, ni Kant, ni Hegel ne convoquent la différence des sexes pour concevoir l’être. Cela ne signifie pas que les philosophes de la tradition n’ont rien dit sur les femmes ou sur la différence des sexes. On peut même faire surgir d’entre les lignes le concept de différence des sexes en philosophie. Il n’en reste pas moins que la différence des sexes n’est pas un concept philosophique.
Elle n’entre véritablement en jeu que lorsqu’on quitte le champ de la métaphysique et que l’on aborde le champ psychanalytique. Par conséquent, la thèse de Judith Butler est davantage politique que philosophique.
Essayons maintenant de tirer les principales différences conceptuelles et subjectives entre le courant des Etudes de genres représentées par Butler face à la psychanalyse selon Freud/Lacan, arguments issus du livre « Subversion lacanienne des théories du genre »(14)
Quand Butler se rapproche de Lacan, elle dit bien que la différence des sexes doit rester :
• une question pour chacun, tout en attribuant à la psychanalyse une certaine part normative qu’elle nomme : l’hétéronormativité de la civilisation, c’est-à-dire qu’elle pense à une « intériorisation de la norme qui implique aussi un désir pour elle. »
• un autre point de rapprochement : sa conception de la norme qui ne soit pas pur assujettissement, mais attachement libidinal.
Judith Butler a rencontré son époque, c’est une penseuse du XXIe siècle.
Quand J. Butler s’éloigne de Lacan, elle théorise autrement son abord de la question des êtres, puisque la psychanalyse s’aventure dans le territoire de l’inconscient et non pas à partir de l’hétérosexualité comme elle le sous-entend. Par conséquent :
• La psychanalyse se veut ni anti-gender, ni pro-gender. Pour elle, il ne s’agit jamais seulement de sujets qui souffriraient d’une intériorisation de la norme faisant obstacle à l’assomption de leur identité. Cette visée émancipatrice à l’échelle collective ne suffit pas.
• La psychanalyse ne croit pas en la possibilité d’une solution du malaise dans la civilisation. Oui, plus d’égalité, plus de droits, plus de reconnaissance, sont des revendications légitimes, mais le rapport de chacun à sa sexualité n’est pas résorbable dans une pure affaire de droits.
• La psychanalyse ne prône pas la référence à un ordre naturel pour dire ce que le genre doit être. Soutenir le mariage pour tous, ne signifierait pas pour autant s’identifier à un discours des théories du genre. Pour éviter le piège, une pétition a circulé « contre l’instrumentalisation » de la psychanalyse. Elle se reconnaît dans un autre discours, qui n’est pas sans dire la norme mais laisse une place à la question du sujet sur son être.
• Il ne s’agit pas d’un sujet universel de la pensée, mais d’un être sexué, qui peut dire à partir de ses émois du corps et des traces, parfois silencieuses que l’expérience de la vie sexuelle a laissé sur la chair.
• Parler de son rapport au fait de se positionner comme homme ou comme femme conduit un être à parler de son interprétation singulière de la différence des sexes, interprétation souvent énigmatique et ne conduisant pas le sujet à parler le discours de tous. C’est aussi rencontrer l’Autre dans une parole particulière qui n’est pas universalisante.
• Lorsque nous parlons de « genre », c’est-à-dire d’homme et de femme, de garçon et de fille, nous ne parlons pas du tout de la même chose que les études de genre, ça ne renvoie en rien à une assignation normative. La question posée par la psychanalyse est celle-ci :
• « Quel statut donner au signifiant femme ? ». Faut-il le faire disparaître de la langue comme le veut Monique Wittig ? Ce signifiant ne permet-il pas de faire valoir ce qui est par définition hors-norme, ou encore un mode d’existence entre « centre et absence » voir Séminaire XIX ou pire.(p.121, Champ freudien 2011).
• Avec Lacan, le genre des femmes n’a rien d’une norme mais renvoie plutôt à une forme de folie bien à elles. Si les femmes sont « folles », soit irrationnelles, déraisonnables, des hystériques extravagantes, c’est-à-dire qu’on ne les comprend pas, alors que pour Lacan, la folie des femmes se situe hors norme, hors normalisation et assujettissement à une logique universaliste, mise dans la catégorie de toutes semblables.
• Pour Butler, il faudrait que la femme renonce à une anormalité supposée en dénonçant la normalité sociale. Elle va donc introduire le trouble dans le genre pour assouplir les normes du genre. Ici, c’est à partir d’une souffrance face aux normes qu’elle se réfère.
• Pour Lacan, il va partir de la folie pour mettre en échec les efforts de normalisation œdipienne, soit l’Auphebung (la relève) du symbolique. Reste à savoir ce qui est le plus subversif ?
• Pour Judith Butler, le genre femme est une prison pour l’être.
• Pour Freud et Lacan le genre femme est plutôt un cheminement pour le sujet. Cheminement hors programme, ne devant rien à la nature, peu à la culture au sens d’une norme, mais relevant d’une rencontre avec un « inassimilable », un impossible dit encore le Réel, en langage lacanien.
Clotilde Leguil dans son livre « L’être et le genre », nous développe donc de façon très documentée, ce que peut signifier « être un homme » ou « être une femme » au XXIème siècle au-delà de toute norme. Après une démonstration bien étayée sur les courants qui essaient de s’affranchir du genre, elle illustre ces études à partir de figures d’hommes et de femmes hors normes au cinéma de Billy Wilder à Guillaume Gallienne, dans la littérature contemporaine d’ Edouard Louis, Catherine Millet, Delphine de Vigan, Pascal Bruckner, pour nous en faire saisir toute la portée.
Je vais reprendre à présent, oralement, quelques-unes de ces histoires auto-biographiques, pour passer de la théorie entraperçue précédemment, à l’art d’en écrire quelque chose, grâce à ces auteurs qui se sont risqués au plus près de l’inquiétante étrangeté de leur genre via leur être. Les ouvrages s’y référant seront illustrés sur le site-blog accompagnés de quelques vidéos.
Autant vous préciser que ce livre, à partir duquel j’ai extrait quelques unes de ces réflexions, est incontournable pour s’interroger sur « l’ Insoutenable Légèreté de l’être ».
Chantal Cazzadori
Psychanalyste à Amiens
membre de l’Association Analyse Freudienne de Paris
conférence n°6 : cycle des avatars du sexuel
Salle Dewailly Amiens, le 9 mai 2016
Genre et psychanalyse
La remise en cause de l’évidence naturelle jusque-là accordée à la différence des sexes occupe la scène des débats publics et se retrouve théorisée par l’émergence du concept de « genre » dans sa distinction d’avec le sexe. La différenciation entre sexe et genre émerge d’une fracture avec l’idée que le sexe biologique déterminerait l’identité sexuée et sexuelle. Dans cette nouvelle terminologie, le sexe ne renvoie plus alors qu’à la dimension anatomique et biologique tandis que le genre réfère à la construction psychologique et sociale du sexe. Malgré la pluralité des théories auxquelles le genre a donné naissance, l’émergence de cette notion prend en compte que sexe anatomique, sexuation psychique et sexualité peuvent trouver des nouages autres que ceux promus par des normes confondues avec l’ordre naturel – nouage, souligne la psychanalyse, radicalement singulier pour chacun.
Cet ouvrage propose une introduction à toute la complexité de ces questions. Il axe son propos sur les controverses entre les théories psychanalytiques et les études sur le genre, et ouvre le dialogue à la littérature, à la philosophie et au cinéma. Cette perspective pluridisciplinaire reflète ainsi l’hétérogénéité des différents abords et usages du genre.
Jean-Jacques Rassial est psychanalyste, membre d’Espace analytique, professeur à l’université Aix-Marseille, membre du laboratoire de psychopathologie clinique, langage et subjectivité.
Notes :
1 – Questions posées dans le Livre de Clotilde Leguil : L’ être et le genre – Homme/Femme après Lacan – PUF janvier 2016 – couverture du livre
2 – larousse.fr, MLF : mouvement de libération des femmes – Voir site Wikipédia .
3- C. Leguil idem : p.7
4- C.Leguil idem : p. 8
5- C.Leguil idem : p. 10 – 11
6- C.Leguil idem : p.14 – 15
7- C.Leguil idem : p.15
8- Pascal Bruckner, Le Paradoxe amoureux, Paris, Grasset, 2009, p.195, 193
9- Jacques-Alain Miller, « Une fantaisie », Mental, février 2005, n°15,NLS p.19
10 – C. Leguil idem : p.18
11- C. Leguil idem : p.19-20
12- C. Leguil idem : p. 37-38
13- C. Leguil idem : p. 40-41-42-43-44-45
Lire également :
• Colette Soler : ce que Lacan disait des femmes, Editions du Champ lacanien
• Subversion lacanienne des théories du Genre, écrit par un collectif sous la direction de Fabian Fajnwks et Clotilde Leguil. (14)
Sur Youtube, Les Nouveaux chemins de la connaissance :
• France Culture : Les mots de la psychanalyse : La femme existe-t-elle ?
• France Culture : Colette Soler Lacan, l’inconscient réinventé, café philo de Lille en direct. (Vidéo ci-dessous)