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LA PSYCHANALYSE AVEC LES ENFANTS

© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »

Comment grandit-on ? Quel est le chemin pour passer de l’état de nourrisson à l’âge adulte ? Autrement dit, quelles sont les étapes de la construction de l’enfant soumis au rôle des parents?


Premier préjugé à bannir : tout – ou presque n’est pas joué dès le départ… Ni les mauvais penchants, ni la capacité innée à nuire, donc, les germes de la folie et de la délinquance n’existent pas. Ce serait nier la spécificité de l’enfance et de l’adolescence avec leur développement propre. Il y aurait là, comme une volonté de nier le psychisme, sa construction, sa complexité, autrement dit, tout le savoir accumulé au fil du temps par les chercheurs en Sciences Humaines. Les travailleurs sociaux, les psychiatres, psychologues et psychanalystes existent bel et bien pour témoigner des avancées en la matière. Ils ont largement démontré que les déviances et la « folie » n’étaient pas l’effet d’anomalies constitutionnelles.(1)

© Pablo Picasso - Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
Deuxième préjugé qui persiste : le développement de l’enfant se ferait tout naturellement, sans intervention extérieure pour devenir raisonnable et raisonnant, grandir en taille comme en sagesse et maturité… les diverses et nécessaires acquisitions selon la formule consacrée « cela viendrait tout seul » est une aberration. Elles nécessitent au contraire l’aide, l’accompagnement et l’investissement des parents. De même, que rien ne s’arrange en grandissant contrairement à ce que disent encore certains pédiatres. Ainsi, cette théorie d’une évolution naturelle indique une méconnaissance radicale de la construction psychique de l’enfant et du rôle qu’y jouent les parents. Tout ce qui devient alors différent, déviant est stigmatisé voire rejeté, la normalité devient la règle d’acceptabilité pour devenir conforme aux attentes sociétales. Le rôle des parents et de leur éducation serait considéré comme un plus, puisque le processus naturel relèverait d’un capital cérébral dominant. En comptant sur l’effet naturel du développement bonifié par l’école que reste-t-il aux parents dans ce champ relationnel des rapports parents/enfants? La réponse est simple : les aimer. Or, l’amour ne suffit pas même s’il est essentiel.(1)

© Pablo Picasso - Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
Troisième préjugé : pour regrouper ceux qui ne sont pas dans les deux fausses options précédentes, ce troisième préjugé, serait de penser l’éducation selon un courant qui engage une conception de l’enfant sur un mode quasi militaire comme le conseille Aldo Naouri, contrairement à une éducation humaine et humanisante comme le préconise Françoise Dolto. D’un côté, hiérarchiser, ordonner et frustrer en dominant l’enfant sommer de se soumettre, et de l’autre, l’enfant étant otage de son pulsionnel, en cherchant le plaisir avant tout et refusant le déplaisir, se croyant le centre du monde au début de sa vie, ce sera en lui parlant, en lui expliquant fermement le monde et ses règles qu’il sera peu à peu civilisé. Parler ne suffira pas, il faudra que cette parole s’incarne dans des actes. Il faudra en effet, après avoir expliqué les interdits, les limites, lui imposer de les respecter sous peine de sanction. (1)
L’éducation deviendra alors une alliance entre parents et enfants. Il ne s’agira pas de dresser mais de transformer, pour aider l’enfant à faire lui-même le travail intérieur en posant des sens interdits qui empêchent le pulsionnel et le « principe de plaisir » présents en lui de se développer à sa guise. Ainsi, les parents deviennent supports de la construction psychique de leur enfant. Artisans de leur développement, ses parents l’aideront à franchir les différentes étapes de sa construction qui n’est pas du tout naturelle. L’animal durant sa croissance est réglé par l’instinct, identique pour l’individu de la même espèce, et se déroule – sauf anomalies physiques – sans problème, celle du petit être humain est lié à son psychisme, soumis lui-même au pulsionnel à civiliser par la parole.(1)

© Pablo Picasso - Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
QUELQUES MISES AU POINT ENCORE, La clinique des bébés et des enfants ne progresse pas avec le sens commun, c’est-à-dire (2) :

  • Les enfants même très souffrants ne demandent rien, ce sont les parents et nous-mêmes thérapeutes qui demandons, de sorte qu’il se produit déjà une conflictualité de demandes qui rend la clinique des enfants angoissante.
  • Aucun mode d’emploi n’est possible à l’aveugle, pas d’improvisation sans un véritable savoir-faire élaboré et lié au travail analytique du thérapeute. On constatera dans certains cabinets la pléthore de joujoux proposés à défaut d’une observation à tâtons, qui garde le doute critique comme repère via une curiosité inventive.
  • Comme nous nous identifions passionnément à la souffrance de l’enfant, attention à son corollaire : la haine contre les mères qui se disent tout savoir, ou bien celles qui disent ne rien comprendre malgré leur bonne volonté, celles qui se disent perdues, d’autres indifférentes, à côté de la plaque, voire maltraitantes. Il n’existe pas de « bonnes mères », détentrices de la « bonne pratique », elles ne peuvent être dans le meilleur des cas que « suffisamment bonnes » comme le constate le pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique, Donald Winnicott. De même, du côté du praticien, ses mécanismes de défense inconscients les plus radicaux vont se manifester chez lui, lors de sa confrontation avec la castration, soit : le pas tout, le possible dans l’impossible, le manque, l’acceptation de ses propres limites; ce qui exigera qu’il travaille « en contrôle » d’un pair expérimenté.
  • La pratique des enfants n’est pas « sociologiquement correcte », dans toutes les classes sociales des difficultés psychiques existent.
  • Nous trouvons les mêmes signes cliniques chez les enfants que chez les adultes, ce qui varie ce sont leur modalité d’expression. Attention tout de même, à la lecture des signes, chez l’adulte les symptômes sont relativement établis. Chez l’enfant, grâce à sa plasticité puisqu’il évolue sans cesse, des interventions précoces et appropriées permettront des réajustements décisifs. Bien se garder donc de poser un diagnostic définitif.
  • Que se passe-t-il dans une séance avec un enfant accompagné de ses parents ? L’enfant sera porteur et porte-parole de la polyphonie familiale, de leur symptôme en fait. Une véritable lutte va s’engager dans la clinique infantile avec le texte écouté et entendu, car l’enfant est parlé avant qu’il ne parle. Tout l’apport de nos outillages psychiatriques, psychanalytiques seront mis en oeuvre pour une écoute du détail, une observation fine de ce qui se jouera sur cette autre scène que représente la consultation.

© Pablo Picasso - Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
Quelques généralités sur la démarche clinique (2) :

– Aucun enseignement universitaire, théorique, ne peut donner suffisamment d’outils aux psychologues pour pratiquer la psychothérapie dès l’obtention de leur diplôme de fin d’études.
Ce qui va manquer, c’est la pratique directe avec le patient, d’autant que l’analyse personnelle pour ne pas rendre préjudiciable sinon dangereux l’exercice thérapeutique s’avère indispensable.
C’est une question d’éthique. En effet, qu’avons-nous appris sur nos propres problématiques inconscientes qui se travaillent sur un divan, et pas dans les livres et/ou à l’université comme dans les instituts de formation thérapeutiques ? La connaissance théorique n’est pas suffisante, un travail de remise en question personnelle est fondamental pour acquérir un savoir insu, celui qui nous éclairera tout autrement.

  • Concernant l’acte clinique, il ne se suffira pas de décrire les faits historiques ou phénoménologiques de la famille, ceux-ci seront articulés dans l’ensemble clinique. La famille arrive avec une demande que l’on pourra « lire » dans un pré-texte nommé symptôme ( l’enfant sera agité, boulimique, encoprésique, violent, insomniaque etc). Le paradoxe, c’est qu’il va falloir confier tout cet intime dans un lieu nouveau avec des personnes inconnus pour parler de ce qui leur échappe, le symptôme justement pas encore nommé parfois. Pour réussir à parler vrai, il faudra se faire confiance, la question de la confiance est au coeur de l’échange, moment sensible du premier entretien, temps unique pour nouer ensemble la relation transférentielle, même s’il s’agit d’un questionnement d’expert, à un moment ou un autre, il ne faudra pas être sourd au détail qui surgira du discours du parent comme point de bascule pour entrer de plein pied dans le sujet à savoir : « Pourquoi vous êtes venus ? » et pour le thérapeute, quel outil va-t-il mettre en place pour « entendre » afin de se mettre véritablement à la disposition de l’autre .
  • Le travail avec l’enfant a ses particularités, la temporalité n’est pas la même qu’avec les adultes, l’enfant a toujours un train d’avance sur nous. Cela nous obligera à prendre des notes après coup, à les relire, à réécrire la séance. Par la spécificité de son expression, il va donner de la pertinence à nos interventions. Tout est en mouvement dans la psychopathologie de l’enfant, rien ne doit être arrêté, le diagnostic bouge, nous fait douter, notre hypothèse sera infirmée ou confirmée, seulement après une diachronie des événements et leurs répétitions.
  • A peine arrivé avec sa famille, nous avons un aperçu de la place que l’enfant occupe auprès d’eux. Comment investit-il les lieux, sa manière d’échanger, sa place dans la relation avec l’un ou l’autre parent par exemple ? Bref, on ne triche pas avec un enfant, et l’enfant ne triche pas avec nous. Si les parents se déchirent lors d’un divorce par exemple, l’enfant apportera les deux discours contradictoires avec son fardeau de mensonges puisqu’il est pris dans un conflit de loyauté, déchiré entre eux-deux. L’enfant ne fera pas semblant. « Il est en relation directe avec le symbolique et l’imaginaire lui sert pour lui donner un peu de chair à la recherche de sa place en tant que sujet ».
  • A la première consultation, souvent les parents sont méfiants, tandis que l’enfant est réservé. Les parents sont immédiatement dans la résistance imaginaire, propre à la relation transférentielle adulte. L’enfant, sans le savoir de manière manifeste sera toujours l’expression de leur difficulté, confusément il le sait car par le biais du symbolique, d’une manière ou d’une autre, grâce au transfert, il s’arrangera pour mettre en scène sa difficulté. Le travail en institution permettant la présence d’étudiants fera s’accentuer le souci de clarté et de respect des relations in situ. Après coup, le thérapeute et les étudiants témoins pourront discuter ensemble, pour valider ou pas les hypothèses de travail.

© Pablo Picasso - Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
© Pablo Picasso – Image extraite du film de Clouzot « le mystère de Picasso »
Lors du premier entretien (2) :
Il s’agira donc d’observer, de questionner, de collecter ses faisceaux de signes, de les organiser en ensembles cohérents, d’annoncer c’est-à-dire ne pas mentir sans asséner un diagnostic définitif, qui dans le domaine de la psychiatrie de l’enfant reste à confronter à ce qui se jouera dans la durée et avec un traitement. C’est un exercice sur le fil du rasoir, car chaque famille attend avec inquiétude un verdict « Qu’est-ce qu’il a ? » ; le savoir n’appartient plus au médecin, avec le décret du 29 avril 2002, la donne a changé. Toute famille est en droit de demander son dossier de santé et savoir ce qu’il en est.

capture 2018-03-12 a 22.06.29Dans son livre « GRANDIR », Claude Halmos formée par Françoise Dolto et Jacques Lacan, nous laisse découvrir toutes les différentes étapes de la construction de l’enfant et du rôle des parents. En effet, grandir n’est pas un long fleuve tranquille pour la vie du parlêtre que nous fûment. Des renoncements douloureux souvent scandent une succession d’étapes que nous traversons à partir de la naissance. La première séparation qui consiste à couper le cordon qui relie l’enfant au corps de la mère, dite « la castration ombilicale » par Françoise Dolto, sera suivie d’un cortège de sevrages qui marqueront tout son être et sa mémoire. Chaque mutation liée aux différentes castrations symboligènes peuvent être majorées ou atténuées selon le contexte dans lequel elles interviennent. En effet, le vécu du bébé va dépendre surtout des mots que les adultes présents peuvent lui dire, du respect dont sont ou non empreints leurs gestes, de leur chaleur, de leur tendresse et surtout s’il a été ou pas désiré. Que ce soit avec des soignants ou des parents, l’enfant perçoit les sentiments, les émotions qui les assaillent. Des traces indélébiles laissées dans le psychisme du sujet souffrant, pourront si besoin, être déconstruites et reconstruites lors d’une analyse du futur adulte, qui trouvera alors dans ce lieu propice, la possibilité d’évoquer son parcours inconscient devenant conscient grâce au dispositif mis en place, pour mettre des mots sur sa souffrance afin de la soulager.( 3)

3229LE SEVRAGE ET LA « CASTRATION ORALE » :

Après celle de la naissance où l’enfant ne sera plus l’enfant imaginaire mais celui bien réel, garçon ou fille, auquel on réservera un accueil joyeux ou déprimant. On retrouve dans certaines dépressions chroniques, les traces indélébiles de cet accueil sinistre. Le sujet ignorant l’origine n’arrivera pas à se débarrasser de cette tristesse permanente et obsédante par exemple.

Dans la castration orale, le bébé est contraint à une double séparation : il doit abandonner à la fois, la nourriture lactée et le sein de sa mère ou le biberon. Le lait et le sein lui appartenaient et ne faisaient qu’un avec lui, il pouvait se les incorporer à loisir : soit réellement, en ce qui concerne le lait, soit, fantastiquement pour le sein. Pris dans une illusion cannibalique, l’enfant en têtant le sein s’imaginait dévorer sa mère, dira F. Dolto. Le sevrage met fin à cette illusion. Aimer sa mère oui, mais renoncer à la dévorer imaginairement, tel est son passage à réaliser. Sa maman, elle aussi est soumise à son sevrage, elle doit s’imposer également cette séparation dont on aurait tort de sous estimer l’importance. Le rapport érotique mère/enfant l’oblige à renoncer au plaisir qu’elle éprouvait lorsqu’il la têtait. Gare aux femmes qui ont une sexualité pauvre, voire inexistante ! Par peur de perdre ce qui les renverrait dans un désert émotionnel vécu dans leur petite enfance, agrippée à ce vécu maternel nouveau, elles peuvent rester coller à leur enfant dans un amour possessif préjudiciable. Voici un autre écueil, lié à la petite enfance de la mère qui peut survenir également à celles qui ne font pas la différence entre « avoir » un enfant et « posséder » un enfant. La maternité devient alors synonyme de propriété.
Chaque castration réussie apportera un fruit, elle permettra à l’enfant d’avancer, de passer d’un plaisir à un autre, de faire avec de nouvelles découvertes. La perte sera suivie d’un aspect promotionnant.(3)

LA CASTRATION ANALE : développement moteur, propreté, accès à la loi :

Cette phase éducative est le troisième grand tournant de la construction de l’enfant, elle se situe entre 18 mois et 3 ans. Il s’agira à ce stade, d’avoir accès progressivement à l’autonomie physique : explorer l’espace, se laver, s’habiller, aller aux cabinets, manger, se coucher sans aide. L’enjeu de cette étape désigne aussi à l’enfant de ne pas agir de façon nuisible à autrui. De ne porter préjudice ni aux personnes, ni aux animaux, ni aux objets qui l’entourent. Il devra par conséquent, comprendre « la loi » c’est-à-dire l’ensemble des règles qui régissent la vie des humains, en premier lieu : l’interdit du meurtre – « on ne frappe pas », « on ne blesse pas », – et celui du vandalisme – « on ne vole pas », « on n’abîme pas », « on ne casse pas ».

L’autonomie motrice va commencer à partir de 9 ou 10 mois, le petit enfant s’achemine vers la marche. Dès qu’il sera capable de marcher, il va déambuler tout seul, voulant aussi, en s’identifiant à eux, essayer de faire comme eux. Les parents doivent l’encourager pour qu’il réalise un certain nombre de ses désirs d’autonomie en passant de la réalisation des besoins à celle de ses envies. Attention, apprendre à se débrouiller tout seul ne veut pas dire « être lâché dans le vide, bien au contraire. »
Le rôle des parents sera de sécuriser l’espace, réellement et symboliquement. Ne pas jouer trop d’un mode d’assistance qui pourrait le faire régresser mais adopter un mode de sécurisation qui ne sera ni du côté de la surveillance pesante ni de chercher à l’épier en permanence. L’adulte présent devra maintenir la bonne distance fondée sur sa parole.

Quelques troubles liés à la « castration anale » :

• Certains sont liés à l’autonomie, d’autres à l’éducation et à la loi, d’autres encore à la propreté. L’inhibition massive résulte chez l’enfant d’un non encouragement suffisant à l’autonomie. Par angoisse ou au nom d’une conception régressive de l’éducation, les parents ont contrarié son envie et son besoin d’avancer.
• L’impossible accès à la loi est un autre trouble constaté. Si l’enfant vit avec des parents qui ne lui mettent aucune limite, il ne peut en effet que se sentir en danger. Il n’est pas protégé de ses envies angoissantes de transgression qui l’habitent. Un symptôme d’irrespect total des règles de conduite hypothèquera sa socialisation, sa scolarité, et, partant, son avenir.
• Au lieu de sublimer ses pulsions anales, soit leur donner un autre but, de passer du plaisir de « faire caca » à celui de « faire », en y trouvant du plaisir, mille et une autres choses intéressantes, afin de devenir ainsi curieux, industrieux et actif. (4)

LE STADE DU MIROIR :

L’enfant capable de ressentir physiquement et psychiquement son être, va vers 6 à 8 mois, selon Lacan, commencer à s’intéresser à son image et cela très progressivement jusqu’à l’époque de la différence des sexes découverte vers ses 30 mois environ.
Dans un premier temps, l’image qu’il perçoit dans le miroir, ne l’identifie pas comme sienne. Il voit un enfant, mais ne sait pas que c’est lui qu’il voit. Il pense en effet, qu’il s’agit d’un autre qu’il découvre, qui vient le trouver réellement pour jouer. S’il sait parler,il dira en se voyant « Voilà bébé », alors qu’il peut déjà prononcer les phonèmes de son prénom. Il ne se reconnaît pas. S’il s’essaie à entrer en contact avec cet autre lui-même, il va se cogner à la glace du miroir, sans appel de l’autre ni écho et cela peut être angoissant s’il est seul. Perturbé, il pourra passer son temps à faire des grimaces, pour échapper à la terreur d’un double qu’il ne saisit pas, ce n’est pas moi, c’est lui, un jeu morbide s’installe alors.
Le rôle des parents est essentiel donc pour comprendre que l’autre, découvert dans le miroir, n’est pas réel mais une image. Pour que cela soit possible, il faut que l’enfant puisse voir dans ce miroir ce parent, et qu’il fasse un va-et-vient entre celui du miroir et celui qui le porte, afin de vérifier qu’il a une épaisseur, une chaleur, une consistance. En comparant le corps du parent avec celui tout froid renvoyé par le miroir et en répétant l’expérience, il parviendra à faire la différence entre la réalité du corps et son image. C’est par la vue que cette fois il va se repérer, mais comme l’image ne permet ni de se toucher, ni se sentir, ni s’écouter comme il le faisait avant avec ces repères là qu’étaient ses trois autres sens, un nouveau sens, celui de la vue vient dominer l’épisode. L’enfant est tout d’un coup confronté à une inflation « scopique » de voir alors que celui-ci n’a occupé jusque-là dans sa vie qu’un rôle mineur. Son schéma corporel et son image inconsciente du corps sont liés aux parents qui par leur présence le reconnaissent. Elle est le fil qui le relie à eux, leur présence est la seule garantie possible de sa continuité. Il pourra alors, rassuré, reconnu, regarder son image sans se dissoudre en elle, sans perdre ses sensations physiques, le ressenti psychique qu’il avait de lui-même.
Screenshot-2018-3-12 DVD Le Bonheur de la vie Boutique du Studio d'animation FOLIMAGEDes transformations liées au « miroir » vont se mettre en place. Le premier narcissique soit le premier lien à lui-même, est assujetti en totalité à sa génitrice . En passant par le stade du miroir, l’enfant s’approprie son corps et son image, il saura s’appréhender indépendamment de sa mère, il n’aura plus besoin d’elle pour savoir qui il est. Ce miroir lui apprendra deux choses : qu’il est visible, les autres peuvent le voir comme lui-même le voit, puis que lui-même peut se voir comme (ou presque comme) les autres le voient. Placé à une sorte de duplication de lui-même, il n’est plus seul, il y a lui et lui, soit celui qu’il sent comme auparavant et la conscience de ce « lui » que, grâce au miroir, il sait désormais être. Le je « me » vois, je vois « me, moi » le met à deux places à la fois, celui qui voit et qui est vu, et pourtant je ne suis qu’un.
Au narcissisme primordial d’avant, un nouveau narcissisme se greffe le narcissisme primaire nommé ainsi par F. Dolto. Capable de « se » voir, il est devenu également apte à « se » penser. Cette nouvelle construction psychique évoque celle de l’oignon et ses multiples pelures. Ce sera désormais par son image que passera le sentiment qu’il peut avoir de lui-même, de sa valeur. C’est le temps où apparaît chez l’enfant des deux sexes, le goût pour les déguisements et pour le maquillage. Jouer avec son image, la modifier selon sa fantaisie jusqu’à ce qu’elle devienne satisfaisante. Dans les dessins, on voit apparaître les princesses aux parures somptueuses et des guerriers à la force invincible. Hormis ce qui le renvoie à leur image à transformer par les jeux, il peut opter plus pour le paraître que l’être, lié à la demande inconsciente des parents à satisfaire. Il pourra jouer à ce que l’autre attend de lui en déguisant aussi ses sentiments. Dans les thérapies des enfants certains affectent une gaieté de façade, une joie de vivre permanente pour épargner les parents qui ne peuvent ni les entendre ni les supporter.
Le stade du miroir a aussi pour l’enfant une autre conséquence : il introduit dans son existence une fracture à laquelle il devra se confronter sa vie durant. Il ne peut jamais tenir à la fois les deux bouts, s’il se situe au niveau de l’image, il lui manque la conscience de son intériorité et s’il s’appréhende à partir de ses sensations internes, il lui manque l’image. Cette faille constitue pour certains enfants un choc. De nombreux symptômes comme le vertige, la vacillation, la « difficulté d’être » de maints adultes plongent leurs racines dans l’abîme qui, face au miroir, s’est un jour ouvert pour eux. (5)

En termes lacaniens, cette fois, nous théorisons les choses ainsi :
« dans le stade du miroir, une expérience fondamentale pour le sujet se joue, au moment où l’enfant se reconnaît et pourra par son « je » désigner son unité corporelle. Nous parlons là, d’un moment de nouage, où le réel de l’organisme, l’imaginaire de cette image corporelle et le symbole du moi font un noeud qui restera comme matrice subjective de l’expérience du sujet avec son corps. Dans cet acte de reconnaissance, de l’image de son corps en entier, l’enfant va ludiquement jubiler.Une certaine jouissance est déjà là, dans ce quelque chose : soit l’acte de sa reconnaissance dans le miroir que l’infans ( entre 9 et 18 mois qui ne parle pas encore) reconnaîtra l’image de son corps, dans ce moment inaugural de jubilation. Avant ce moment là, il jouait avec son image dans le miroir, maintenant il se reconnaît, c’est lui, sa réalité se construit à partir de cette virtualité de l’image dans le miroir ». (6)

LA DECOUVERTE DE LA DIFFERENCE DES SEXES : la castration primaire.

Vers 30 mois, il marche, s’auto-materne, s’occupe de lui-même, est curieux de tout. Les Pourquoi ? pleuvent ainsi que les « c’est quoi ? » se bousculent dans sa tête. Il va pour la première fois s’intéresser aux corps des autres enfants. D’abord, il va observer l’autre, son alter ego, et constate que le dos est pareil, rien ne les différencie, ils sont tous pareils. A contrario, de face, certains enfants sont différents des autres. Interloqué, interrogatif, un peu inquiet de cette constatation, il remarque chez les adultes une dissemblance entre le haut du corps des mamans avec leur protubérance (les seins) alors que les papas n’ont rien à la même place. Mille questions se posent alors : « Pourquoi les petites filles n’ont-elles « rien », ni sur le buste ni sur le bassin ? Une explication juste doit là encore venir des parents pour éviter les angoisses à leur enfant, incapable de trouver seul une réponse. Que dire alors ?

  • Il peut être dangereux de limiter les explications seulement en description anatomique, en termes de « plus » et de « moins ». L’énoncé réducteur : « les garçons ont un pénis, les filles n’en ont pas », amènera l’enfant à développer une conception « mathématique » du monde en une hiérarchie vide de sens, ce qui peut être traumatisant, les petites filles se vivant comme celles qui n’ont rien. Si la différence anatomique renvoie à des destins différents, il n’y a pas en matière de sexe des « nantis » et des « misérables ». La différence entre garçon et fille se situe par rapport à la paternité et à la maternité, donc selon des places différentes. Chaque sexe est à la fois un « plus » et un « moins », qui fera de lui un futur « homme », ou une future « femme », aux destins différents. la différence des sexes permet de faire avec son manque, à savoir : « je ne suis ni tout (les deux sexes à la fois), ni une moitié, mais un être singulier et sexué, c’est-à-dire d’un seul sexe, garçon ou fille, devenant homme ou femme.
  • Il ne s’agira pas de mettre sur le même plan, grossesse et pénis, d’établir une équivalence, donc de revenir aux mathématiques, car cela annulerait la différence des sexes. Rien n’est interchangeable, un pénis n’est pas l’équivalent d’un bébé, et ne doit pas consoler l’enfant qui devra en effet, accepter que chaque sexe n’est pas le « plus », mais le « moins ». Et que celui-ci est également réparti : ce que l’un n’a pas l’autre l’a, ainsi se marque la différence des sexes. Il manquera précisément quelque chose à chaque sexe, chacun sera ainsi confronté à son manque fondamental, lié à sa naissance. Cette confrontation douloureuse et difficile fait partie du parcours à franchir par chaque parlêtre via son manque structurel. (7)

La construction de l’enfant va se poursuivre, il s’agira maintenant d’entrée et de sortie de l’Oedipe, en passant d’abord par la phase phallique liée à la différences des sexes comme nous venons de le voir, et du rôle du phallus dans notre construction psychique. Nous aborderons ces thèmes après le débat que nous allons maintenant ouvrir. Le Bonus, soit l’exposé de 30mn non mis en ligne, réservé exclusivement aux participants de cette conférence, viendra conclure notre soirée.

Merci pour votre participation, le débat est ouvert maintenant.

Chantal Cazzadori
Psychanalyste en libéral
Conférence du 19 février 2018 à Amiens.

(1) Grandir de Claude Halmos, Live de poche, son introduction quelques extraits..
(2) Au seuil de la clinique infantile d’Eva-Marie Golder chez Erès p. 8.9.14.15.18.19.20.23 à 37.
(3) Claude Halmos, Grandir, chapitre II, p.70 à 90.
(4) Claude Halmos, Grandir, chapitre III, p.92 à 168.
(5) Claude Halmos, Grandir, le stade du miroir p. 168 à 182
(6) Chantal Cazzadori, site www.chantalcazzadori.com, lire mon article sur « le corps et ses jouissances dans la danse », publié 19 déc/14.
(7) Claude Halmos, Grandir, la différence des sexes, p. 188 à 191