Ce film sorti en mars 2023 : « Sur les chemins noirs », est le récit d’une histoire vraie, écrite par Sylvain Tesson après son grave accident survenu en août 2014.
Le récit de cette soirée tragique, sera mis en scène par Denis Imbert qui va adapter librement et sobrement ce voyage d’introspection joué par un petit autre, son semblable, l’acteur Jean Dujardin.
Des notions psychanalytiques telles que l’identification, le petit autre, la jouissance, le désir et le grand Autre, avec comme réel, la présence permanente du corps, m’a interrogée au point de vous en rendre un peu complices.
Un corps blessé, meurtri, diminué, puis régénéré par une promesse qu’il va réussir courageusement à tenir en traversant à pieds, hors des sentiers battus, une France hyper-rurale et si belle, avec ce corps abîmé, constamment exhibé dans un effort musculaire inouï.
Ce dépassement de soi, soutenu par une introspection continue tout au long de ses 1000 kms de solitude volontaire, nous est transmis par son personnage Dujardin identifié à son alter-ego, dit petit autre en psychanalyse.
La question qui nous intrigue, c’est celle de son désir voilé par une motivation tyrannique à savoir :
Au nom de quoi et de qui surtout se donne-t-il ces injonctions physiques ?
A un moment clef de mon questionnement, il nous le révélera ainsi : « Mais la vraie raison de cette fuite à travers champs je la tenais serrée, sous la forme d’un petit papier froissé, au fond de mon sac. »
Et à cet instant, il nous lit une lettre reçue de sa mère, emportée par une embolie pulmonaire en mai 2014.
L’auteur de ce parcours du combattant est dans une quête infinie : celle de l’objet « a » qui l’épuise, poussant et repoussant vainement ses limites corporelles. Après l’addiction à l’alcool, il s’aventure avec son corps brisé, dans ce chemin de croix pour se réparer dit-il, mais de quoi ? De qui ? Quelle est sa faute ? Cette quête animée par la recherche du grand Autre non barré, va-t-elle enfin le combler pour remplir son vide abyssal ?
Invité sur Europe 1 en décembre 2022, cet écrivain grand voyageur, qui continue à errer comme un adolescent prétendant en effet « ne pas être arrivé au bout de son adolescence » « qui est pour lui la métamorphose de l’âge adulte où l’on devient raisonnable, plein de sagacité, de sagesse, on finit par s’asseoir et puis on épaissit » dira-t-il! L’aventure commence pour lui quand ça marche plus…
Est-ce que l’aventure ne commence pas parce que vous vous mettez dans des situations extrêmes? lui demande le journaliste.
Dans son livre, que j’ai parcouru après avoir vu le film, il parle de Napoléon qui scinde les hommes en deux catégories : ceux qui commandent et ceux qui obéissent. S’il l’avait connu, il lui aurait dit pense-t-il : Sire ! « Fuir c’est commander ! C’est au moins commander au destin de n’avoir aucune prise sur vous. »
C’est ainsi qu’il fantasme une liberté totale, non soumise au langage, à l’inconscient, trésor des signifiants reçus comme tout à chacun, par la relation symbiotique entre sa mère et lui. Tout puissant, il tente des expériences extrêmes, persuadé fuir ainsi ses fantômes, liés à un refoulement dont il ne veut rien en savoir.
Sa quête de vérité ne l’a joue-t-il pas en se mouvant vers des lieux inconnus où il se met en danger, espérant détenir ainsi la puissance phallique tant espérée ?
Il termine son livre par ces mots :
« Une seule chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi et battre la nature…
De quoi se plaindre ? »
Pour reprendre mon titre, quand le grand Autre n’est pas barré, une course infernale vers un idéal pour échapper à la castration l’emporterait-elle via une culpabilité inconsciente ?
Chantal Cazzadori
Psychanalyste en libéral