La transmission de la psychanalyse est un problème d’actualité. Certains disent qu’elle est morte parce que trop longue, coûteuse, machiste, insuffisamment scientifique et j’en passe. Et pourtant, la psychanalyse se transmet.
Est-elle moribonde ou sans place jamais véritablement acquise ?
Malmenée dans le public comme dans les institutions, ses modalités de transmission seraient elles misent en cause ?
Si, on relit l’étymologie du verbe « transmettre », celui-ci se réfère à un « au-delà » et pas seulement à de la conservation – potentiellement mortifère du même – Il s’agira de garder vivante cette volonté de transmettre dans une trajectoire évolutive. Accepter donc qu’un savoir soit repris, réinvesti, mis en chantier ; pour qu’il puisse évoluer, de même que les cliniciens qui en sont porteurs. (1)
Si, comme l’écrit André Green en 1992, soucieux de transmettre : « la théorie ne s’enseigne pas, elle se transmet », alors l’université comme lieu d’enseignement, « Quelle place prend-elle pour la psychanalyse » ? D’autres approches pluridisciplinaires y sont associées comme la littérature, l’anthropologie, la psychologie au sens large, etc.
Si, la formation universitaire n’existe pas pour devenir psychanalyste, toutefois celle-ci peut être transmise par l’université fournissant ainsi au clinicien une culture générale de bon niveau sur le registre de son enseignement.
Le psychanalyste peut aussi se passer de l’université tout en s’en servant.
FREUD envisageait un enseignement de la psychanalyse en commençant par un cours introductif qui traiterait de la relation entre la vie mentale et la vie psychique, pour décrire la suggestion qui est à la base de toutes les psychothérapies et établir en quoi la psychanalyse est l’aboutissement du traitement mental. Par exemple, concernant l’étude de la psychiatrie, la psychanalyse recueille ainsi ce qui est forclos à savoir la question du sens des symptômes liés à l’événementiel et aux traces inscrites dans l’appareil psychique.
En effet, dans la formation médicale, les facteurs mentaux, leurs fonctions vitales et leurs traitements constituent un « point aveugle » chez le médecin, car trop souvent, son manque d’intérêt pour les problèmes les plus préoccupants de la constitution subjective du patient est une lacune. Freud remarquera déjà la négligence de l’effet du transfert et du désir dans la relation médecin-malade, non enseignée.
LACAN, invitera les psychiatres à lire Foucault.
Les humanités, les arts, les sciences sociales et la religion sont la pluridisciplinarité des savoirs auxquels la psychanalyse n’est pas en reste pour faire avancer la recherche qui évolue ; l’objection est que l’étudiant n’apprendra jamais la pratique effective de la psychanalyse par des cours.
Apprendre quelque chose SUR la psychanalyse et VENANT d’elle était bien l’objectif de Freud déjà en 1920, nous le rappellera Christian Hoffmann, en 2016, lui-même, Psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’Université Paris Diderot. (2)
Revenons sur nos pas, en vérité qu’en est-il de la transmission ?
Ce n’est pas une pilule à faire avaler aux étudiants dira Lacan. Sa formation relève de la responsabilité de celui qui s’y engage. Rappelons que la psychanalyse est un métier impossible selon Freud et pour Lacan, c’est une science malgré le fait qu’elle ne soit pas transmissible comme une Science. Elle est donc à réinventer par chacun(e), c’est-à-dire proposer une lecture de son époque en partant de sa subjectivité langagière. Comment par exemple exprimer qu’il n’y pas d’Autre, que le ciel est vide, à partir des attentats de Charlie et de l’hypermarché Casher ?
Comment Freud et Lacan nous ont transmis et enseigner leur concept ?
Transmettre du contenu, c’est trouver une forme. Double difficulté pour Freud qui a voulu faire œuvre scientifique et transmettre une vérité singulière. N’est-ce pas en effet contradictoire ? Difficulté redoublée par le fait qu’il est nécessaire de transformer par la fiction, la forme romanesque pour transmettre ce qui est intransmissible.
L’analyste-écrivant va trouver une nouvelle métaphore pour s’approcher ou rendre compte de la dynamique interne au transfert. Il y mettra son style.
Lacan quant à lui, va radicaliser la position, il quittera le récit de cas en passant par un travail sur le style modifiant ainsi le statut de la vérité. Le langage devient l’objet. Le style n’est plus l’expression du bien dire, mais l’expression de ce qui ne peut se dire. « Dire autrement la même chose, c’est dire autre chose ». Le sens n’est plus la priorité, c’est sur le désir que quelque chose peut se dire. Lacan fera de la poésie non pas une fioriture mais lui donnera un rôle structurant puisqu’il proposera la formule suivante :
« L’inconscient est structuré comme un langage poétique », qu’il est alors accessible à l’interprétation et que le symptôme se définit comme le champ de l’interprétable. « La poésie est effet de sens mais aussi bien effet de trou ».
Lacan s’attaquera à la division du sujet, sur ce qui ne cesse de se refermer ou d’être ignoré : le vide, l’insaisissable, l’exil, l’exclusion interne, l’extimité. Cette chose en chacun de nous qui tend à rester opaque.
Son travail est de montrer que le savoir, la vérité et le sexe sont dans un rapport de division irréductible. Ce qu’il va nous transmettre justement c’est un savoir, un savoir de la division du savoir et de la vérité, sans s’en remettre à la fiction romanesque. La topologie qui s’écarte du signifiant donne au sujet un lieu précaire entre le manque et le trou. Le style, insuffisant pour dire ce qu’il en est de la transmission de la psychanalyse, il inventera ou créera un concept, celui de l’objet petit « a » ; cette trouvaille faite de quelque chose de nouveau mais aussi d’un arrangement imaginé.
Si, nous abordons le travail de transmission du côté des rapports entre l’individuel et le collectif, nous parlerons alors d’individu dans sa dimension socio-historique. Transmettre la clinique renvoie à la notion de sujet, notion interne à sa discipline. Nous dépassons ainsi l’opposition individuel/collectif puisque le sujet, différent de l’individu, est le compte d’un manque dans le collectif, non seulement il dépasse cette vision psychiatrique ou sociologique mais il l’a renverse.
Quelques remarques s’imposent :
Avons-nous toujours besoin d’élaborer les concepts de la transmission pour découper le fait clinique afin de le faire passer de la scène transférentielle privée à la scène publique ?
N’est-ce-pas paradoxal d’être en position de lecteur et de passeur, selon les acquis repris par Freud et Lacan, et de sortir de la position d’élève pour inventer sa propre réponse symptomatique ?
Lacan soutient sans rougir : « j’ai inventé ce qui s’écrit comme le Réel (…). C’est quelque chose dont je peux dire que je le considère comme n’étant rien de plus que mon symptôme. »
Il nous reste à penser à ce qui nous a été transmis, ainsi que notre position à transmettre, sachant que chaque choix de style entraînera un choix de fond.
La psychanalyse cherche à penser précisément la vérité de l’expérience subjective, c’est-à-dire, une parole qui s’essaie par ailleurs du « Je ».
Le lien social des quatre discours est une relation fondée sur le langage qui dépasse de loin la simple parole énoncée. Les formations de l’inconscient : lapsus, actes manqués, oublis contaminent la parole de l’agent pour en révéler sa « Vérité ». Bien qu’on s’adresse à l’autre, la vérité c’est le désir inconscient donc méconnu de celui qui parle et cette production aura des effets de discours sur lui-même et celui qui écoute. Ce reste produit sera le résultat d’un impossible puisque nous ne pouvons pas faire coller « l’être du sujet ». Ce qui est dit sera interprété par l’entendu. De l’incomplétude et du pas-tout se manifesteront. De l’impuissance à faire aussi coïncider la production et la vérité du discours va trouver à se dire de quelque façon. Le savoir s’échange, donne sens après-coup, produit du savoir insu, réintroduit du non-savoir, crée du manque à jouir. Dans la circularité des discours, on s’aperçoit dans quel lien social on se trouve pris.
Freud disait que ce qui mettait une limite aux cures, c’était « le roc de la Castration »,
Lacan dans la logique du signifiant, nous indique que le langage n’est pas un codage, mais un système de signifiants dont l’homme ne se fait plus maître.
Il n’en reste pas moins que transmettre est une nécessité sociale et psychique ; une dette symbolique de transmission à assumer.
L’intransmis comme l’inachevé sont au cœur des processus inconscients, ce qui contribue à nous rendre désirant.
EN QUOI L’INSTITUTION FAIT-ELLE TIERS DANS LA PRATIQUE CLINIQUE ?
Dans notre association analytique, les liens de travail se nouent et s’enrichissent en choisissant un thème et /ou autour d’un thème. Sachant qu’il n’existe qu’une seule catégorie de membre, ceux entrés depuis longtemps et les nouveaux arrivants, ils vont chacun, chacune profiter d’une transmission de l’autre en osant dire, sans hiérarchie, quel que soit son parcours, sa façon d’avoir été enseigné ou pas.
Prendre la parole, c’est risqué à chaque fois d’être un nouvel entrant, dans le bon sens du terme mais aussi dans la difficulté que ça présente.
La transmission se fait de surcroît, elle ne se fait que dans la possibilité de réinventer la psychanalyse, ce n’est ni volontaire, ni planifié, ni programmé. C’est possible ou pas, et c’est dans l’après-coup que nous le saurons, quand ça va se produire.
S’il n’y a pas de transmission, le savoir reste académique, voir surmoïque.
Rappelons que le style d’Analyse Freudienne n’est pas du tout de penser un enseignement où la transmission serait prévue d’avance. Le plus vif des propos spontanés, sans trop de résistance la remet à l’ouvrage et lui donnera tout son tranchant.
Il est à souhaiter que le groupe restera ouvert et accueillant l’inhibition comme un symptôme à dépasser pour bien démarquer la grande différence qu’il y a entre enseignement et transmission.
C’est ce qui m’a été transmis dans le débat qui a eu lieu le 12 juin dernier lors de la journée des cartels, puisque comme nous le savons l’institution fait tiers dans la pratique analytique, sachons-nous en servir !
Allez vers un enseignement qui ne se répète pas, et qui va nous ouvrir aux réalités contemporaines en utilisant sa propre langue, dans son style lié à un savoir insu qui prendra sens dans l’après-coup en quelque sorte ! Subjectivité oblige !
Finissons notre propos par une courte intervention de Jacques SEDAT, sur France Culture, émission « Une vie, une œuvre : Sigmund Freud (1856-1939) »:
« Ce qui peut se transmettre, c’est l’expérience analytique, c’est pas un discours psychanalytique. Cette expérience, c’est justement une expérience de déconstruction, de la façon dont chacun d’entre nous a organisé sa vision du monde, à partir même, si l’on suit fidèlement Freud, de la façon dont il a élaboré l’image de son corps. »
Freud a cette formule qui mérite d’être rappelée :
« Une théorie, c’est la façon dont on entend retarder le retour de ce que nous redoutons ».
La théorie est donc frileuse, poreuse en quelque sorte, et donc, il y a dans toute théorie, et dans toute élaboration du monde qu’on peut avoir, il y a une dimension défensive qui nous empêche de regarder une certaine partie de la réalité.
Chantal CAZZADORI
Psychanalyste à AMIENS
Intervention journée institutionnelle
de l’association Analyse Freudienne
octobre 2021
Images Daniela Capaccioli – Exposition « Femmes-arbre » – Ville de Paris